Le rachat de la F1 fin 2016 par Liberty Media, ne fut pas qu’un simple changement d’actionnariat principal. Depuis leur prise de fonctions, les Américains, sous la conduite de Chase Carey, tentent de moderniser le sport, ou tout du moins de lui faire rattraper le retard pris sous l’ère Ecclestone. L’ancien « Grand Argentier » a vite été accusé d’avoir eu une gestion trop personnelle et court-termiste du sport, en négligeant les réseaux sociaux et le rajeunissement de l’audience.
« Bernie, c’est un one-man show à lui tout seul » remarque avec le recul Chase Carey, son successeur. « Le jour où nous avons annoncé le rachat, nous avons eu un débat avec Bernie. Il disait que le sport avait besoin d’un dictateur, je disais qu’il avait besoin d’un leader. »
« Il n’avait pas l’habitude de travailler avec une organisation ou de déléguer des responsabilités. Il est brillant pour trouver des accords. Je ne sais pas s’il est un homme qui puisse construire des business, en réfléchissant sur la stratégie. Je ne jouerais jamais au poker avec lui. »
« Il est très malin, intelligent pour trouver des accords, mais à un moment donné, les business ont besoin de plus que des deals. Il ne croyait pas dans le marketing. Quant aux vingtenaires, sur le digital, il disait qu’il ne s’en souciait pas, parce qu’ils n’avaient pas d’argent. »
« Il a connu un grand succès. Je ne veux pas lui enlever cela. Mais ces cinq ou dix dernières années, la F1 n’a pas fait ce qu’il fallait pour vraiment déployer tout son potentiel. »
« Nous avons trouvé une organisation qui n’avait pas fait les choses qu’il fallait faire, et qui n’avait pas les capacités nécessaires pour vraiment déployer son potentiel. Il y avait des problèmes culturels. C’est un sport qui était vraiment dirigé en fonction d’accords de court terme. Il n’y avait pas de plan à long terme. »
Pour la défense de Bernie Ecclestone, il faut rappeler qu’à l’époque, CVC cherchait à vendre la F1 : il fallait donc maximiser, à court terme, la valeur du sport, en trouvant des baux commerciaux avantageux.
Liberty Media a ainsi, conformément à sa philosophie de long terme, engagé des réformes profondes pour la F1. L’introduction de budgets plafonnés en 2021 est la réforme majeure portée par les Américains.
« L’une des choses que nous voulons apporter à la F1, c’est plus une vision partagée et un sens du partenariat avec ses acteurs clefs, en particulier les écuries » détaille Carey. « La F1, par le passé, divisait pour régner, c’était un peu sa mentalité. »
« Nous voulons créer des évènements comparables aux Super Bowls. J’ai assisté à 25 Super Bowls et j’ai pensé que le Grand Prix d’Abu Dhabi, l’an dernier, avait vraiment l’air d’un Super Bowl. La course était le centre… mais il y avait beaucoup d’activité autour, du jeudi jusqu’au dimanche soir. »
« Vous voulez que cette énergie, cette excitation, soient présentes au sein de l’événement, pour que vous ayez le sentiment d’être vraiment au centre de l’univers. »
Liberty Media a également entrepris de rendre la F1 plus accessible, moins secrète. Un symbole a été l’ouverture des paddocks : Bernie Ecclestone voulait les cloisonner au maximum, Liberty Media tend à les ouvrir.
« L’un des commentaires qu’on m’a fait au début, c’est que la F1 était trop exclusive » ajoute Chase Carey. « J’ai aussi senti que le sport avait dit ‘non’ à trop de choses. Il n’y avait pas assez d’ouverture pour essayer de nouvelles choses. Nous trouvons de nouveaux moyens pour engager des villes, des pays. En Italie, une Ferrari a navigué sur le grand canal à Venise. »
Le calendrier devrait être allongé ces prochaines années, pour maximiser les revenus et toucher de nouveaux pays… à la grande inquiétude des équipes, qui ne veulent pas de 25 courses par an.
Un deuxième Grand Prix aux États-Unis figure parmi les pistes immédiates.
« Le marché US est l’un des plus sous-exploités pour la F1 » regrette Chase Carey. « Nous avons à peine défriché le terrain. »
Enfin, un dernier chantier pour Liberty Media se situe au niveau du digital, laissé en jachère par Bernie Ecclestone…
« Quand vous luttez avec Amazon et Google, et que vos concurrents sont en phase de consolidation, comme avec AT & T et Time Warner, il vous faut, soit un grand marché, soit des actifs vraiment uniques. »
« Il y a trop d’entreprises qui n’ont ni l’un, ni l’autre aujourd’hui. Or c’est de bon augure pour la F1, car la F1, c’est une entité de plusieurs centaines de millions de dollars, et tous les diffuseurs veulent des contenus uniques. Ils peuvent toujours dépenser plus d’argent pour produire des séries convenues, mais vous ne pouvez pas produire plus de championnats de F1 qu’il n’en existe. »