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Interview de Philippe Bianchi

"Le temps a beau passer, la blessure est toujours aussi grande"

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Le site www.minute-auto.fr a réalisé une interview de Philippe Bianchi. Avec leur permission et nos remerciements, nous la reproduisons dans son intégralité ci-dessous.

Il y a un peu plus d’un an, votre fils Jules disparaissait. On se doute que la période ne doit pas être des plus évidentes pour vous. Comment allez-vous Philippe ?

Philippe Bianchi : Il faut que ça aille, nous n’avons pas le choix. Il y a des dates qui sont marquantes quand on vit des événements dramatiques. La disparition de Jules était il y a à peine un an, c’est terrible. Le Grand Prix de Monza a été tout aussi terrible pour moi, car c’est là que j’ai partagé mon dernier moment avec Jules, juste avant le Grand Prix du Japon 2014. Ce n’est pas facile, il me manque. Le temps a beau passer, la blessure est toujours aussi grande.

On ne fait pas vraiment comme on veut mais plutôt comme on peut. Il y a des moments où on se retrouve accablé par la tristesse, où ça bouffe toute notre énergie. Et puis il a les moments où l’on doit se reprendre, notamment pour Jules. Il n’a pas laissé le souvenir d’un garçon qui baissait les bras et c’est ce qui me donne la force d’avancer aujourd’hui. On s’aperçoit au fil du temps que, même si les gens le garde dans leur cœur, la vie continue pour tout le monde mais que Jules n’est plus là. Si nous n’agissons pas pour garder son souvenir présent et faire les choses qu’il aurait aimé que l’on fasse, on l’oubliera très rapidement.

Justement, parlons des actions que vous mettez en place. Il y a eu beaucoup de soutiens après sa disparition, mais qu’en est-il un an après ?

P.B. : J’ai le souvenir d’un moment, lors de l’hospitalisation de Jules au Japon, où mon meilleur ami m’a dit "Tu sais Philippe, il y aura un moment où vous serez tout seuls". C’est un peu le sentiment que l’on a aujourd’hui. Parmi les projets que j’avais, il y avait notamment celui d’aider de jeunes pilotes mais il s’avère que c’est beaucoup plus compliqué qu’il ne paraissait. Il y a des gens qui se sont engagés et qui deviennent difficile à joindre depuis. On espère qu’ils n’ont pas oublié ce qu’ils nous ont dit à un moment donné.

Nous avons cependant le soutien des pilotes de Formule 1. J’avais récemment Alexander Wurz (ndlr : Président de la GPDA, l’association des pilotes de F1) au téléphone et il y aura prochainement une vente aux enchères d’organisée, lors de laquelle ils remettront des casques et tous types d’objets dont ils voudront bien se séparer. Les bénéfices permettront de soutenir l’association de Jules et de réaliser des actions. La seule manière pour nous de sortir la tête de l’eau, c’est d’avoir le sentiment de continuer à le faire vivre, à notre manière.

Malheureusement, dès que l’on veut organiser quelque chose dans le milieu des sports mécaniques, c’est très onéreux. Nous avons donc besoin de partenaires, d’autant plus que nos actions doivent débuter en 2017. Nous espérons pouvoir réaliser ce que nous avions en tête. Le faire revenir sur les circuits, c’est essentiel pour nous...

A quel moment vous est venue cette idée, ce besoin de lancer une association au nom de votre fils ?

P.B. : Il y a eu toute cette période où Jules s’est battu pour vivre et lors de laquelle nous nous sommes battus à ses côtés. Malheureusement, il n’a pas réussi. Lorsqu’il s’en est allé, avec sa mère et sa sœur nous nous sommes dit qu’il fallait que l’on fasse quelque chose. Nous avons réfléchi à ce qu’il aurait aimé. Du coup il y a deux associations : celle en France, gérée par sa sœur et sa mère, plutôt sportswear, où l’on pourra acheter des t-shirts ou différents objets dans pas très longtemps. Avec les bénéfices, elles aimeraient aider les enfants qui ont eu des accidents ainsi que leurs parents. Aider financièrement des parents pour qu’ils puissent rester auprès de leurs enfants, c’était essentiel.

Et puis il y a l’association de Monaco, dont je m’occupe. Mon objectif est de pouvoir faire rouler sur des châssis JB#17 quatre jeunes – deux en mini-kart et deux en compétition internationale – et de les accompagner, leur faire profiter de notre expérience. Puis, par la suite, lorsqu’ils auront une quinzaine d’années, essayer de placer les plus prometteurs et valeureux dans des filières et de les faire accéder aux plus grandes compétitions grâce à nos relations. Pour nous, ce serait un peu le retour de Jules au plus haut niveau du sport automobile puisqu’ils porteraient toujours ses couleurs. Ce serait un super clin d’œil.

Avez-vous déjà sélectionné vos quatre jeunes pilotes ?

P.B. : Partiellement. Le problème c’est qu’il faut démarrer quelque chose. Lorsque l’on a lancé l’association, à Monaco, nous avions reçu des centaines de dossiers, même de gens de plus de 30 ans qui estimaient ne jamais avoir eu la chance de se lancer. Nous avons aujourd’hui des pilotes présélectionnés car ils correspondent à nos attentes, à savoir qu’ils ont du talent mais pas de moyens. En fonction des moyens que nous aurons, nous essayerons d’aider au coup par coup d’autres pilotes, sachant que c’est très compliqué. Forcément, on fera des déçus car si on liste tous les pilotes qui pourraient potentiellement arriver à percer, il y en a bien plus que quatre…

Concrètement, comment pouvons-nous aider l’association Jules Bianchi Society ?

P.B. : Sur le site internet de l’association il y a la possibilité de faire des dons via un formulaire. Parallèlement, je suis en pleine recherche de partenaires, notamment de partenaires fixes avec lesquels nous pourrons pérenniser le projet puisque le but n’est pas d’organiser quelque chose l’année prochaine et de dire aux pilotes qu’on ne peut plus les suivre en 2018. Nous avons déjà quelques partenaires mais il nous en manque encore.

Aller aujourd’hui sur des circuits de Karting, c’est une souffrance pour vous ou est-ce un endroit où vous vous sentez à votre place ?

P.B. : C’était mon métier donc forcément je suis à ma place. Mais bien sûr, à chaque fois que je me rends sur un circuit, c’est toujours chargé d’émotions car j’y ai toujours des souvenirs avec Jules. Il a roulé sur toutes les pistes sur lesquelles je me rends. C’est parfois très difficile et je dois parfois me forcer pour ne pas craquer. Mais il y a toujours beaucoup de gens qui appréciaient Jules et qui viennent me soutenir dans mon combat.

Comment se comportent les gens à votre égard ? Sont-ils plutôt pudiques ou au contraire font-ils la démarche de venir vers vous ?

P.B. : Nous avons toujours un très bon accueil. Les gens sont discrets et respectueux, ils savent que la douleur est toujours très forte. Il y en a que je croise tout au long d’un week-end de course et qui ne viennent qu’à la fin pour me dire « Nous venons juste pour vous serrer la main et vous dire que nous sommes de tout cœur avec vous » ou « Nous ne voulons pas vous embêter mais nous aimions beaucoup Jules et nous voulions que vous le sachiez ». Il y a beaucoup de pudeur dans tout ça. Mais, je le répète, toutes ces personnes qui nous apportent un témoignage de soutien et de sympathie, ça nous donne beaucoup d’énergie. Nous sommes toujours heureux de voir qu’il était apprécié à ce point.

Il y a le Karting qui est votre métier, mais qu’en est-il de la Formule 1. Voir un Grand Prix ou se rendre sur un circuit, est-ce toujours quelque chose dont vous n’êtes pas capable ?

P.B. : C’est difficile. La Formule 1 c’était la vie de Jules et voir que ça continue sans lui, c’est dur. Il avait un brillant avenir et on sait que sans l’accident il aurait pu gravir les échelons (ndlr : il était pressenti pour piloter pour la Scuderia Ferrari). Ce qui était très positif autrefois, c’était de le voir piloter et progresser de course en course. Aujourd’hui c’est beaucoup plus compliqué puisqu’il ne sera plus jamais là.

Vous avez rapidement déclaré après l’accident de Jules que ce qui venait de lui arriver devait au moins servir à quelque chose. Avez-vous le sentiment que c’est le cas ?

P.B. : En partie. Mais ce n’est pas fini. Aujourd’hui, le combat que l’on mène c’est bien évidemment de continuer à faire vivre la mémoire de Jules, mais c’est aussi que ce type n’accident n’arrive plus jamais. Je le dis et je le répète, il y a clairement eu des erreurs de faites. Jules n’a pas eu un accident lié aux risques du métier.

Après l’accident, j’ai mené certaines actions parce que je voulais connaître la vérité. Je pense qu’il s’est passé quelque chose avant l’accident. Pour tous les accidents que la F1 ait connu, même les plus terribles, il y a des replay mais cette fois-ci il n’y a aucune image de la FOM (ndlr : le groupe chargé de la promotion de la F1) pour véritablement montrer ce qu’il s’est passé. Je suis allé sur place, j’ai analysé des photos aériennes et la trajectoire du virage en question et, au vue des images, je ne comprends pas comment Jules a pu sortir ainsi et pourquoi il n’y a pas eu de réaction de sa part.

Pour moi, il y a quelque chose qui ne colle pas. On me doit la vérité. Je persiste et je signe, il n’a aucune responsabilité dans ce qu’il s’est passé, il y a eu beaucoup d’erreurs de faites. Il y a trop d’éléments qui font que cette course devait être arrêtée, que cette grue ne devrait pas être là, qu’il ne devrait pas y avoir de drapeau vert… c’était un cafouillis total ! Les gens qui se permettent de m’attaquer car ils ont pignon sur rue en Formule 1 et qu’ils veulent garder leurs privilèges, ça ne me touche pas. Mais si les gens disaient « c’est vrai, il y a eu des erreurs de faites mais on ne pourra de toute façon pas revenir en arrière », ce serait déjà une avancée pour moi.

C’est un combat que vous continuez à mener aujourd’hui ?

P.B. : Oui, totalement. J’ai engagé des avocats pour que la vérité soit dite et que les responsables paient pour leur faute. Je ne vois pas quels parents, dans les mêmes conditions que les nôtres, y compris ceux qui nous critiquent et disent que c’est mal d’attaquer la Formule 1 en justice, ne feraient pas de même si un accident de ce genre arrivait à leur enfant. Dans le cas du jeune Henry Surtees, quand une voiture devant lui perd une roue et qu’elle vient malheureusement percuter son casque… Ce sont les risques du métier. Quand Felipe Massa se prend malheureusement un ressort en pleine tête, ce n’est pas de chance, mais ce sont les risques du métier. Si Jules avait eu un accident de ce type, je n’aurais rien dit, il savait les risques qu’il prenait.

Jules discutait encore avec sa sœur la veille de la course. Il l’avait rassurée et disait qu’il avait confiance en la direction de course, qu’il était possible que le Grand Prix soit annulé à cause du typhon en approche. Mais ce n’est finalement pas ce qu’il s’est passé.

Revenons à vos activités associatives. Vous évoquiez les châssis de Karting JB#17. C’est un symbole qui compte beaucoup ?

P.B. : Oui, c’est un projet dont on parlait déjà du temps de Jules. Il n’a jamais oublié que c’est en Karting qu’il a débuté et que c’est là qu’il a réussi à avoir le niveau qu’il avait. C’était une formidable école d’apprentissage pour lui. Nous parlions ensemble de développer sa propre marque de châssis comme le faisaient Fernando Alonso ou Daniel Ricciardo. Il en avait envie car le Karting restait sa passion.

Les homologations ouvrent à nouveau en 2017, du coup nous ne pouvions pas encore homologuer de châssis JB17. Nous avons trouvé un accord avec Armando Fellini, le patron de Croc Promotion et qui était le patron de la marque de châssis Maranello lorsque Jules roulait en Karting, et nous avons fait des séries spéciales JB#17 avec des châssis Croc Promotion à défaut d’avoir pu homologuer nos propres châssis. Mais dès 2017 nous aurons des châssis pour toutes les catégories autorisées à rouler et l’objectif est de trouver des distributeurs pour les vendre. C’est un gros challenge d’espérer voir des châssis JB#17 sur les pistes de Karting mais nous savons qu’ils seront bons.

Avez-vous la satisfaction de mener à bien ces projets à la mémoire de Jules ?

P.B. : J’ai eu la satisfaction de bien démarrer les actions puisque nous les avons lancées assez vite. Je serai fier le jour où j’aurai mené à bien le projet que j’ai pour 2017. Le dimanche 4 décembre, nous organiserons une journée en hommage à Jules sur le circuit Paul Ricard et nous aimerions la reconduire chaque année. Nous aimerions y faire venir un club, le club Ferrari par exemple et nous espérons y voir des pilotes. Les bénéfices de cette journée reviendront bien évidemment à l’association. Et quand nous serons structurés et que nous pourrons pérenniser, là je serai satisfait.

Si j’avais dû prendre en compte toutes les personnes qui m’avaient dit qu’elles m’aideraient et deviendraient partenaires pour mes actions au moment de l’accident, nous aurions trop d’argent par rapport au projet d’aujourd’hui. Mais nous n’en sommes clairement pas là et nous faisons comme tout le monde : nous nous battons pour trouver des partenaires. Grâce à Jules, il y a toujours un capital sympathie très fort et j’espère que nous parviendrons à mener à bien nos projets.

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