C’est en bonne partie grâce à Patrick Head que Williams a dominé plusieurs championnats dans les années 1980, avec Alan Jones ou Nelson Piquet au volant. L’ingénieur anglais est donc l’une des voix qu’il faut écouter, alors que la F1 s’apprête à vivre une nouvelle ère réglementaire.
L’optimisme n’est pas au rendez-vous pour Head. La nouvelle réglementation ne devrait ainsi pas resserrer la hiérarchie générale. « Si quelqu’un avait pensé à ces règles avec l’objectif de rapprocher le peloton, alors il avait des cailloux dans la tête ! ».
Les F1 devraient passer 70 % (au lieu de 50 % actuellement) d’un tour à pleine vitesse. L’écart entre les moteurs devrait donc être plus discriminant qu’en 2016. Or, Mercedes dispose encore d’un avantage de 45 chevaux environ…
« Il ne fait aucun doute que les niveaux de traînée des voitures seront plus importants. Mais ce qui rend le moteur un peu plus important, c’est qu’avec plus d’appui – et les F1 en auront sans aucun doute – votre pourcentage passé à fond (le pourcentage sur un tour où vous êtes plus limité par la puissance que par l’adhérence) sera plus élevé, donc si vous avez plus de puissance, cela vous donnera un léger avantage » explique Patrick Head.
Mark Webber abonde dans le même sens : alors que chacun pense que l’accent sera plus mis sur le châssis, l’Australien souligne toute l’importance qu’auront toujours les V6 l’an prochain.
« Les voitures vont avoir beaucoup plus d’appui, les F1 vont être plus sensibles que jamais. Vous aurez besoin d’un moteur plus gros que jamais, en raison des pneus plus larges et de la traînée supplémentaire. »
Le suspense est-il déjà plié pour autant ? Lors d’un dernier grand changement réglementaire, en 2009, une équipe sortie de nulle part, Brawn GP, avait trouvé la recette magique du double diffuseur pour s’imposer à la surprise générale. Patrick Head croit-il qu’une telle sensation arrivera cette année ?
« Chaque fois que vous procédez à des changements significatifs, alors l’avantage ira aux équipes plus importantes. Parce qu’elles ont plus de ressources, elles ont plus de possibilités pour mener des développements parallèles, en travaillant à la fois sur leur voiture actuelle et sur le design de leur nouvelle voiture. Quand vous avez 750 employés ou plus contre, disons, les 300 employés de Force India, bien sûr, les équipes les plus importantes peuvent en faire plus. Penser que le nouveau règlement réduira les écarts, c’est un non-sens. »
Patrick Head reconnaît certes que les intentions initiales ayant présidé à ce changement réglementaire n’étaient pas celles-ci… « Je ne pense pas que personne ait jamais dit que tel était l’objectif. Je pense que l’on voulait plutôt rendre la F1 plus attractive pour créer un peu plus d’excitation. »
Là encore, l’objectif pourrait être manqué, et pas qu’un peu. La F1 risque de se mordre la queue. En effet, avec plus d’appui, les voitures auront plus de mal encore à se suivre, rendant les dépassements plus difficiles. « C’est la pire idée possible » avait ainsi commenté Lewis Hamilton.
Patrick Head est du même avis que le pilote Mercedes… « S’ils voulaient une F1 qui permettait plus de dépassements sans utiliser d’aides artificielles comme le DRS, alors, il fallait aller vers une F1 avec un niveau d’appuis réduit. Mais ils ont pris la direction opposée ».
Paul Hembery, l’homme fort de Pirelli en F1, avait d’ailleurs évoqué des préoccupations similaires récemment… « Est-ce que cela améliorera les dépassements, ou est-ce que ça les rendra pires ? J’espère que nous ne prenons pas une mauvaise décision, qui en réalité, ne résout rien de ce que nous essayons de résoudre en priorité. »
C’est donc avec un certain pessimisme que Patrick Head aborde cette nouvelle réglementation. Mais tout n’est pas encore perdu pour la F1 selon lui… « Nous devrons simplement attendre et voir les résultats. S’ils ne sont pas bons, ils prendront probablement un nouveau départ ». La F1 risque d’être encore plongée dans des années d’incertitude…