Parmi les nombreuses personnes impliquées dans l’aventure Renault en F1, peu ont joué un rôle aussi important que celui de Jean-Pierre Jabouille, qui a cumulé son rôle de pilote de course et d’essai avec celui de catalyseur d’idées hors de la piste. Il y a trente-cinq ans, il a marqué l’histoire lors du GP de Grande Bretagne à Silverstone où il est devenu le premier pilote à conduire une Renault F1.
Jabouille était également partie intégrante du programme endurance d’Alpine-Renault, qui a abouti à deux pôles positions au Mans en 1977 et 1978.
Né à Paris en 1942, Jabouille a débuté en course lors du championnat de Renault 8 Gordini en 1966. Il a rapidement migré vers la F3, où il s’est vite révélé comme étant de la race des vainqueurs, terminant second du Championnat de France 1968.
Il est ensuite monté en F2, où il restera plusieurs saisons, tout en continuant de courir en endurance pour Alpine Renault et Matra. En 1974, il a connu deux tentatives infructueuses de qualifications en Grands Prix avec Williams et Surtees, avant de connaître finalement son premier départ avec Tyrrell dans le GP de France 1975.
Pendant ce temps, le programme F1 de Renault a été lancé avec le moteur V6 turbo, et Jabouille en tant que pilote d’essai et de développement idéal. En 1976, il a remporté le championnat d’Europe F2 avec sa propre équipe Elf Suisse tandis qu’en coulisses ce programme pionnier de la F1 a commencé à prendre forme.
Jabouille fit rouler la Renault RS01 pour la première fois en course à Silverstone en Juillet 1977, après avoir engrangé des milliers de kilomètres d’essais. En dépit de son expérience des turbos en endurance, l’entreprise avait encore beaucoup à apprendre.
« La première fois que j’ai conduit la 1.5-litre au Paul Ricard, le turbo ne se mettait en route que dans la ligne droite », rappelle Jean-Pierre. « En courbe dans les autres parties du circuit, je n’avais rien, juste 200 chevaux ! J’ai pensé, ce n’est pas la bonne direction... »
Mais ensuite Bernard Dudot a dit : « Jean-Pierre, pas de problème. Nous allons changer le turbo pour un plus petit, avec moins de puissance à haut régime mais un meilleur temps de réponse. »
« Cela fit une grosse différence, et j’ai pensé qu’après beaucoup de travail, il serait possible de comparer le 1,5 litre turbo avec un moteur atmosphérique ».
« Et il y avait beaucoup de travail ! Souvent, je faisais deux tours, trois tours, et le moteur explosait. Je l’ai essayé à Jarama juste après le GP là-bas, et les temps s’amélioraient sans cesse. Nous avons alors pris la décision de le faire courir. »
A Silverstone, pour ses débuts, la Renault était l’objet de toutes les attentions.
« Je me souviens à un moment donné lors des essais, je suis arrivé avec le moteur qui fumait. Ken Tyrrell s’est mis à rire, et a dit que c’était une théière ! Le premier GP ne fut pas très simple. Ce n’était pas seulement une histoire de turbo ; nous avions également impliqué Michelin, et apporté des pneus radiaux. Je me rappelle que mon souci n’était pas le moteur, mais les pneus ; aucune adhérence ! Avec la réponse du turbo et pas de grip, le pilotage devenait très difficile. »
Au début, le délai de réponse à l’accélération était un problème majeur : « Avec un moteur atmosphérique, vous contrôlez tout avec l’accélérateur. Avec un moteur turbo, vous ne contrôlez rien. Vous appuyiez, rien. Vous enfonciez un peu plus, rien. Encore un peu plus, et brrrrr, tout arrivait ! Sous la pluie ce n’était pas évident... La solution fut trouvée lorsque nous avons installé deux turbos en 1979. »
Bien que le délai de réponse restait une caractéristique de toutes les voitures turbo, l’installation d’un bi-turbo était largement bénéfique. En Juillet 79, un peu moins de deux ans après la première course, Jabouille a remporté une victoire historique à Dijon.
« À la fin de 1978 j’étais sûr que dans les six mois ou un an je gagnerais une course. Mais quand j’ai gagné, pour moi ce n’était pas seulement le moteur, mais également le châssis. Il y avait beaucoup d’appuis avec la RS10, véritable « wing-car » à effet de sol. La maniabilité était très très bonne, et les Michelin s’étaient également largement améliorés. Avec un moteur turbo c’était préférable car vous aviez besoin de motricité. »
Jabouille allait quitter Renault à la fin de 1980 après avoir souffert de graves blessures aux jambes lors du Grand Prix du Canada. Il a couru brièvement pour Ligier en 1981, avant de se retirer des monoplaces en milieu de saison.
Par la suite il a couru en voitures de tourisme pendant plusieurs années. Plus tard, l’expérience acquise avec Renault s’est avérée inestimable dans le développement du programme endurance de Peugeot, Jabouille devenant à la fois pilote et dirigeant de l’équipe aux côtés de Jean Todt. Après avoir pris sa retraite de pilote et que Todt soit parti rejoindre Ferrari, Jabouille a dirigé le programme moteur de Peugeot en F1 pendant un certain temps, avant de lancer sa propre écurie d’endurance.