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Portraits d’ingénieurs motoristes - 1ère partie

La chaîne des générations

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Depuis les années 90, une génération s’est écoulée pour les motoristes F1 Renault. Les hommes ont traversé les années, les technologies ont évolué. « Les temps changent » et les jeunes générations prennent la relève en s’appuyant sur un savoir-faire sauvegardé.

Âgé de 56 ans, Christian Blum est en charge des bancs d’essais à Viry-Châtillon et travaille chez Renault Sport F1 depuis 1985. Yannick Rohrbacher, 34 ans, est ingénieur motoriste piste au sein de l’équipe technique Renault Sport F1. Il a rejoint l’équipe en 2014.

Christian, comment décririez-vous votre rôle au sein des opérations piste dans les années 90 ? Même question pour Yannick aujourd’hui.

Christian Blum : J’ai commencé avec Michael Schumacher et Johnny Herbert chez Benetton. J’étais l’ingénieur de Johnny. Le responsable de l’équipe piste Renault était chargé de superviser le fonctionnement de l’ensemble des moteurs de l’écurie, moi je m’occupais de ma voiture et de mon pilote. Certaines stratégies étaient communes – concernant l’utilisation du moteur, les stratégies de course, mais nous pouvions quand même travailler librement avec notre pilote pour optimiser la performance du moteur. Le tout dans un certain cadre défini à l’avance. Williams avait remporté le titre Constructeurs en 1994 mais Benetton avait enlevé le championnat Pilotes. Autant vous dire que la lutte faisait rage entre les deux équipes. Et nous avons fait de notre mieux pour que Benetton conserve l’avantage.

Yannick Rohrbacher : Je suis en charge de tous les paramètres liés au Power Unit de Carlos Sainz : utilisation, performance, et fiabilité. Je travaille au sein d’une équipe qui inclut un ingénieur en charge du contrôle des systèmes de commande et un technicien motoriste. Ensemble, nous avons pour mission d’optimiser le groupe propulseur tout au long du week-end de course. Le travail commence à l’usine. Je prépare chaque Grand Prix en essayant d’extraire la meilleure performance du Power Unit pour le prochain circuit. Après chaque course, nous rentrons au bureau pour éplucher les données et analyser le week-end dans son ensemble. Nous cherchons constamment à améliorer chaque domaine afin d’être toujours plus performants sur la prochaine course.

Christian, comment le rôle d’ingénieur motoriste a-t-il évolué au cours des 20 dernières années selon vous ?

CB : L’objectif final reste le même. À 14h, le dimanche après-midi, les feux s’éteignent et la course démarre. Nous couvrons « x » tours et donnons tout pour franchir la ligne d’arrivée en vainqueur. Il faut savoir conserver son sang-froid, être capable d’absorber et d’assimiler beaucoup d’informations à la fois, savoir utiliser les bons outils. Par contre, les outils en vigueur aujourd’hui sont bien plus complexes. Pour Yannick, qui a grandi avec ces nouvelles technologies, c’est sans doute plus simple. Il y a également un bien plus gros volume de paramètres à surveiller et à prendre en compte, ainsi que plus d’interaction entre eux. À mon époque, il s’agissait de garder un œil sur la consommation de carburant, les températures d’eau et d’huile, et une petite trentaine d’autres données. Maintenant il y en a 60 ou 70, tout est plus dense. Il faut alors identifier quels processus automatiser et quoi déléguer car vous ne pouvez tout simplement pas tout contrôler. Naturellement, le niveau de stress est beaucoup plus élevé. Mais le goût de la victoire, lui, reste toujours aussi exaltant.

Yannick, qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier actuel ?

YR : Ce que j’aime le plus, c’est être sur le terrain avec les opérations piste, plongé « on track », au cœur de l’action, travaillant avec l’équipe et le pilote pour trouver les réglages qui rendront la voiture la plus performante possible. Bien sûr, on doit surveiller la fiabilité, mais j’adore l’idée de pouvoir apporter le petit plus qui fera la différence dans la performance globale de la voiture. On repousse sans cesse les limites à la recherche des derniers centièmes en évaluant les différents scénarios potentiellement jouables durant le week-end et au cours du Grand Prix lui-même. Mon meilleur souvenir ? La première victoire du V6 turbo au Canada l’an passé : quelle énorme émotion ! J’étais chez Red Bull à l’époque et c’était leur premier succès de la saison, le premier pour Ricciardo en F1, et le premier pour le V6 Renault. Et c’était également ma première victoire en F1 !

L’histoire et le palmarès de Renault Sport F1 vous ont-ils inspiré ?

YR : Bien sûr ! Je me souviens très clairement de week-ends passés devant les Grands Prix de Formule Un chez mes grands-parents dans les années 1990. On regardait les courses ensemble et je pense que mon intérêt pour le sport est né de là. C’était l’époque dorée des Williams-Renault, Schumacher, Benetton… des saisons formidables pour Renault. Les moteurs étaient si puissants, tellement dominateurs, et l’expertise de Renault forçait le respect. J’ai appris à aimer la F1 durant mon enfance, et ce en grande partie grâce à Renault. L’ancienne génération a accompli tellement d’exploits et remporté tant de courses. Pour le petit garçon que j’étais devant sa télévision, c’était naturellement une belle source d’inspiration.

Christian, comment les différents outils que vous utilisez ont-ils évolué à vos yeux ?

CB : Les outils d’aujourd’hui se révèlent étonnamment très proches de ceux utilisés il y a 20 ans. La télémétrie en temps réel existe depuis 1994. Nous recevions donc déjà des données tour après tour et surveillions quasiment les mêmes paramètres, notamment l’huile, la température, la pression de carburant, la consommation en air et en essence, etc. Et nous étions également déjà en charge de la stratégie moteur.

À cette époque, comme maintenant, la compétition était féroce. En 1995, Williams disposait sans doute de la meilleure voiture du plateau et ils avaient le même moteur que nous (benetton) ! Pour gagner, il nous fallait donc élaborer de meilleures stratégies. Nous jouissions également d’une plus grande liberté d’action. Certains membres de l’équipe nous épaulaient depuis l’usine durant la semaine mais ils n’intervenaient pas le week-end. Pas d’e-mail ni de téléphone portable, il était très rare de recevoir un coup de fil en dehors des heures de bureau. S’il y avait un souci, on pouvait contacter l’assistance téléphonique ou bien envoyer un fax à l’un de nos experts mais c’était à peu près tout. En dehors des heures de bureau, il fallait se débrouiller par soi-même. Maintenant, notre « operations room » suit tout le week-end de course depuis l’usine, ce qui nous offre plus de soutien, une meilleure communication, et des experts dans chaque domaine. Par contre, cette nouvelle organisation nous a peut-être ôté une part d’autonomie vu que les décisions sont désormais prises en comité.

Autre chose, nous changions systématiquement le moteur plusieurs fois par week-ends. Il y a 20 ans, le cycle d’utilisation d’un moteur couvrait tout juste 320 km, soit la distance d’un Grand Prix. On avait un bloc pour le vendredi et samedi avant de monter un nouveau moteur le dimanche. De nos jours, chaque propulseur a règlementairement une durée de vie bien plus étendue (4500 km environ).

Il y avait également moins de personnel en déplacement sur les GP dans chaque écurie, peut-être 50, là où nous sommes une centaine sur place aujourd’hui. Du coup, vous ne connaissez pas ou ne rencontrez pas tout le monde. L’esprit d’équipe reste bien sûr présent mais peut-être le sentiez-vous plus par le passé.

Yannick, vous êtes vous êtes appuyé sur les compétences de vos prédécesseurs à vos débuts chez Renault Sport F1 ?

YR : Je n’avais jamais travaillé en F1 avant d’arriver chez Renault Sport F1. J’avais certes évolué au sein de l’industrie automobile, mais jamais en F1 et encore moins sur circuit. Je connaissais le sport mais pas de l’intérieur : la phase d’apprentissage promettait d’être longue et sinueuse. C’est donc naturellement que je me suis aidé de l’expérience de ceux qui faisaient partie des opérations piste. Un tel job requiert rigueur et pratique vu qu’il englobe beaucoup de prérogatives – il faut comprendre la technologie, les procédures, le règlement technique, les méthodes et moyens de communication, la routine du métier... Et il faut assimiler tout cela très vite. Les générations précédentes maîtrisent parfaitement ces différentes caractéristiques. En tirant le bénéfice de leur expérience, j’ai pu gagner un temps précieux et apprendre plus vite.

Utilisez-vous encore cette expérience aujourd’hui ?

YR : Bien sûr. Je suis chez Renault Sport F1 depuis un an maintenant et continue d’apprendre tous les jours grâce à l’expérience de mes collègues. Ils sont toujours de bon conseil : que ce soit sur les façons de travailler, les différentes procédures, ou bien l’expertise. Cela ne veut pas dire qu’ils s’assoient à vos côtés pour vous faire la leçon au quotidien, mais plus qu’ils transmettent leur savoir à leurs successeurs lesquels feront de même à leur tour. Finalement, vous constatez qu’il existe une ligne de transmission d’expérience au sein de l’entreprise et la passion qui anime les anciens est particulièrement remarquable. Parfois, je regrette de n’avoir pu travailler avec eux durant l’ère des V10 ou des V8 quand les régimes moteur dépassaient les 19 000 tr/min et vous secouaient les tympans !

Donnez-vous des conseils à Yannick ?

CB : C’est difficile de donner des conseils vu que les époques et les contraintes sont très différentes. Du coup, impossible de simplement dire « fais ci, fais ça ». Nous pouvons décrire la façon dont nous procédions, expliquer comment les choses fonctionnaient, comment gérer la pression, s’occuper de la voiture au sein d’une écurie, communiquer à la radio, apprendre le vocabulaire de course en anglais, ce genre de petites recommandations. Cela dit, les nouveaux embauchés arrivent avec une connaissance et des compétences que je n’ai pas, alors il faut les laisser faire leur travail. En revanche, lorsque je travaille sur les bancs d’essais, j’espère que ma connaissance des opérations piste me permet d’offrir aux équipes maintenant sur le terrain les outils dont ils ont besoin.

Yannick, comment pensez-vous que la technologie F1 et votre position vont évoluer d’ici 20 ans ?

YR : La F1 est définie par les règlements, mais elle s’inspire également des véhicules de série car le sport doit vivre avec son époque et s’inscrire dans le monde réel. Prenez les V6 turbo hybrides que nous utilisons actuellement, avec leurs systèmes de récupération d’énergie et l’accent mis sur le rendement énergétique. Ils reflètent ce qui se fait dans l’industrie automobile, où la technologie hybride et les économies de carburant sont des facteurs très importants pour le consommateur. Difficile d’imaginer l’évolution des voitures de série dans les 20 prochaines années, mais je pense que le rôle de l’ingénieur motoriste sera façonné autour de la technologie que nous utiliserons. Mais la F1 doit rester au sommet du sport automobile ! Personnellement, je me sens bien où je suis et espère être toujours ici dans 20 ans. Bien sûr, j’aspire à laisser une empreinte chez Renault Sport et à accumuler beaucoup d’expérience pour à mon tour la transmettre aux générations futures.

Source : Renault Sport F1

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