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Quand Williams était surpuissante : le triomphe de 1992 raconté par Lowe

Les coulisses de l’ingénierie

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En août dernier à Spa, Paddy Lowe a remporté sa 150e victoire en Formule 1. Le directeur technique de Mercedes n’était bien entendu pas au volant, mais quand on sait que Michael Schumacher a remporté 91 succès en carrière et Lewis Hamilton à peine plus du tiers (51), on réalise à quel point “Paddy” est une figure incontournable du paddock !

Depuis 1987, Lowe a voyagé de Williams à Mercedes en passant par McLaren. Il est l’un des sages du paddock, l’un de ceux qui savent mesurer, avec le recul nécessaire, l’évolution de la discipline vers toujours plus de technologie et de réglementations.

Le Britannique a bien voulu replonger dans ses souvenirs et raconter comment, grâce à un développement lent et patient, Williams put compter sur une monoplace pratiquement imbattable en 1992…

Paddy Lowe rejoint la F1 à l’automne 1987 en tant que responsable de l’électronique. Il raconte ainsi son arrivée dans la discipline : « Un ingénieur du nom de Steve Wise [toujours chez Williams] et moi-même étions chargés de mettre en place un nouveau département. En ce temps, Williams n’avait aucune ressource interne pour construire des systèmes de contrôle électronique. Steve était porté sur le hardware et moi sur le software, donc nous formions un formidable duo. Franck Dernie nous a employés et il était mon supérieur, jusqu’à ce qu’il signe avec Lotus pour l’année 1989. Il recherchait en réalité un technicien mais, après s’être entretenu avec Steve et moi-même, a réalisé qu’il avait besoin d’ingénieurs. »

Williams n’était alors pas aussi dominatrice qu’elle le fut pendant les années 90. Quelques problèmes se sont rapidement accumulés à Grove et, pendant ce temps, les implacables McLaren empilaient les titres mondiaux à partir de 1988, quand Honda dota Ayrton Senna d’un moteur turbo… Paddy Lowe raconte cette époque à la charnière entre l’ancien et le nouveau monde, dominé par l’électronique.

« Williams avait commencé à courir avec un système qui était le fruit d’un programme de R&D, et utilisait un sous-traitant extérieur, Kurt Borman, pour l’électronique embarquée. Mais à l’époque, l’équipe n’était pas préparée aux complexités du fonctionnement d’un système de contrôle comme celui-là sur une voiture de course. Au début de l’année 1988, nous utilisions un système qui n’était pas adapté à notre objectif. »

« Les trois ou quatre années qui ont suivi, nous avons créé, avec Steve, un ordinateur qui convenait à la voiture. Nous nous sommes donnés les moyens pour cela : concevoir des harnais qui convenaient, des dimensions du cockpit qui convenaient, des valves de contrôle ; et nous avons conçu le logiciel pour l’ordinateur à bord, le système qui communiquait avec l’ordinateur, et enfin l’analyse des données. »

« Nous avions créé un département pour faire fonctionner de tels systèmes et les rendre fiables pour la course. Nous voulions avoir des renseignements disponibles pour les ingénieurs de course et pour les pilotes, afin qu’ils puissent travailler avec. Nous avons passé une année sur chaque projet : la construction des infrastructures, le personnel et la conception des ordinateurs. »

« J’étais le chef de projet des suspensions actives, et Steve dirigeait le projet de boîte semi-automatique. Nous avons roulé pendant plusieurs années avec une voiture obsolète pour suivre notre programme de R&D. Nous avions notre propre voiture, notre propre pilote, Mark Blundell [et plus tard Damon Hill], notre propre camion et notre propre équipe. »

« Nous nous rendions principalement à Pembrey [au sud du Pays de Galles], j’aimais bien y aller. Un sympathique petit circuit, qui avait tous les éléments nécessaires, différents types de virages et ainsi de suite. Finalement, nous sommes arrivés à un point, en 1991, où tout a convergé : une voiture de la saison en cours avec des suspensions actives, donc nous pourrions avoir une comparaison directe [avec une voiture sans suspension active]. Nous étions sûrs que notre système fonctionnerait. Mais beaucoup ne le pensaient pas. »

Le système allait pourtant faire le bonheur de Nigel Mansell et de Williams en 1992, octroyant à la monoplace un avantage décisif sur la concurrence. En 1991, lors du dernier Grand Prix, à Adélaide, les premiers tests ne furent paradoxalement pas vraiment rassurants...

« La voiture était toujours trop lourde. Le problème, avec la R&D, c’est qu’on a toujours des ressources limitées dans une certaine mesure. On essaie de mobiliser le temps et les efforts du personnel mais si vous n’êtes pas absolument certains des résultats, les autres ne s’impliqueront pas à fond si ça met en danger le programme principal. Patrick Head a été d’un grand soutien après le départ de Franck [Dernie], l’instigateur du projet. Il a pris le relais et nous a donné les ressources pour continuer. Il a gardé la foi. »

Patrick Head a ensuite donné le feu vert au projet de suspension active une semaine après les tests hivernaux à Estoril, seulement six semaines avant le commencement de la saison 1992.

« Le système était bien plus compliqué que celui de 1988. Cependant, il semblait plus simple, c’était bien plus élégant. Le logiciel gérait beaucoup plus de choses. Le système de 1988 bloquait les suspensions à une hauteur constante à n’importe quelle vitesse. Ce que avons fait, en 1992, c’est programmer la hauteur de la suspension d’une manière assez complexe. »

« Nous avons trouvé que faire pencher la voiture quand le pilote tournait le volant nous offrait un avantage, et la voiture s’inclinait toute seule. Une des choses sympathiques à propos de l’année 1992, c’est que tout s’est bien agencé : nous avons réglé les problèmes de la boîte de vitesses, qui était un peu bancale en 1991, et nous avons inventé l’antipatinage. Ce dernier dispositif faisait gagner une autre seconde par tour, pour bien moins de travail que le système de suspension active, soit dit en passant. »

« Quand nous sommes allés à Kyalami pour la première course de la saison, nous avions amené tous ces systèmes : ils valaient deux secondes au tour, plus une demi-seconde qui venait de la boite de vitesses. J’attendais que McLaren accélère son développement mais finalement, j’ai réalisé que nous avions quelque chose qu’ils ne pouvaient égaler. »

Face à une Williams totalement hors de portée, un certain Brésilien était tout à fait impuissant sur sa McLaren… Paddy Lowe, Patrick Head et ses ingénieurs ont ainsi réussi à battre Senna.

« C’était vraiment très intéressant de regarder le film sur Senna, parce que je ne l’avais jamais vu de ce point de vue. Il était l’ennemi. Nous avons consacré des années de nos vies à inventer des nouveaux systèmes pour essayer de le battre. Dans le film, vous avez le point de vue adverse, vous voyez à quel point il était déprimé. Il a réalisé que McLaren avait été surprise en train de faire la sieste… »

Ainsi en 1992, Williams remporte cinq des six premiers Grands Prix, et le total montera à neuf à la fin de la saison. McLaren introduira sa voiture à suspension active en septembre seulement, à Monza. Mais il était déjà trop tard.

Paddy Lowe avait quoi qu’il en soit attiré les projecteurs sur lui. Sollicité par l’ennemi juré, il décide de le rejoindre. Chez McLaren, il remporte 83 autres victoires entre 1993 et 2012.

Puis, en juin 2013, il décide de s’embarquer dans l’aventure Mercedes, au poste de directeur technique. On connaît la suite… Paddy Lowe a déjà remporté autant de victoires que le moteur Cosworth DFV en F1 : 155. Et la série n’est pas près de s’arrêter !

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