Quatre années après sa création, est-il temps de mettre fin à l’expérience de la voiture de sécurité virtuelle ? Ce dispositif sécuritaire, censé compléter l’arsenal de Charlie Whiting et de la direction de course, peut être en effet critiqué sur plusieurs points aujourd’hui, ce qui rend, l’un dans l’autre, rend son existence au mieux subsidiaire, au pire nuisible.
Sur les plans du spectacle, de l’équité et de la lisibilité d’une course pour le spectateur, la voiture de sécurité virtuelle apparaît en effet comme un dispositif contre-productif.
Il faut rappeler tout d’abord la genèse de la voiture de sécurité virtuelle. Celle-ci fut créée aux lendemains du drame de Suzuka 2014, qui coûta la vie à Jules Bianchi. Au moment du crash, un double drapeau jaune, « seulement », avait été agité par la FIA suite à la sortie de piste d’Adrian Sutil. Dans des circonstances similaires, l’activation d’une voiture de sécurité virtuelle au lieu d’un double drapeau jaune aurait sans doute permis d’éviter le pire.
L’article 41 du règlement dispose ainsi que la "VSC" doit être déployée en cas de double drapeau jaune dans un secteur, dans lequel un pilote ou un commissaire pourrait être en danger, mais sans que cette situation nécessite l’intervention de la voiture de sécurité.
Or aujourd’hui, ce dispositif apparaît en contradiction avec les objectifs de Liberty Media, qui veut mettre l’accent sur le spectacle en course et la lisibilité d’un Grand Prix pour le spectateur, en particulier plus jeune et moins averti.
Du point de vue du spectacle, la voiture de sécurité virtuelle a le désavantage de figer les positions, alors qu’une voiture de sécurité « normale » permet de regrouper le peloton et de donner lieu à une relance animée. Certes, une voiture de sécurité virtuelle peut tout de même changer la donne en offrant un « arrêt gratuit » à ceux qui saisissent l’occasion, comme Sebastian Vettel en Australie.
Mais une voiture de sécurité classique a des conséquences beaucoup plus excitantes sur le spectacle. En 2018, en Chine, la voiture de sécurité intervenue après l’accrochage entre Pierre Gasly et Brendon Hartley a permis de créer une fin de course folle, remportée par Daniel Ricciardo après une remontée géniale. A Bakou, suite à l’accrochage entre Esteban Ocon et Kimi Räikkönen, puis entre les deux Red Bull, la fin de course fut également spectaculaire, avec la crevaison de Valtteri Bottas et le freinage manqué de Sebastian Vettel, là encore grâce au resserrement des écarts. En Espagne, alors qu’Esteban Ocon tombait en panne au 40e tour, une voiture de sécurité aurait pu animer la fin de course alors que les Mercedes en tête, mais ce Grand Prix fut finalement l’un des plus ennuyeux de la saison.
A l’heure où Liberty Media et la FIA cherchent à favoriser le spectacle par tous les moyens (le changement réglementaire 2019 en est le meilleur exemple), une solution plus simple existerait dès lors : privilégier systématiquement une voiture de sécurité classique, qui fut souvent la première raison du spectacle en course.
Une telle approche pourrait être critiquée, en ce qu’elle rendrait le spectacle plus artificiel et rendrait un Grand Prix moins équitable pour les équipes. Mais la F1 dispose déjà de nombreux outils « artificiels » pour pimenter le Grand Prix (DRS, changement de pneus obligatoire, choix libre de pneus pour les pilotes qualifiés en Q1 et Q2, standardisation de certaines pièces), sans compter les budgets plafonnés à venir qui sont un autre élément coercitif pour resserrer le peloton.
S’agissant du caractère équitable, l’argument pourrait être encore renversé : en effet la voiture de sécurité virtuelle apparaît elle-même moins impartiale et objective qu’il n’y paraît. Son mode de fonctionnement demeure complexe, si bien que profiter des failles du règlement demeure possible.
Sebastian Vettel lui-même s’était plaint du fonctionnement de la voiture de sécurité virtuelle l’an dernier : « C’est pareil pour tout le monde mais la FIA nous fournit un système qui nous fait suivre un delta de temps, et tout le monde doit ralentir, je pense, de 30%, mais tout le monde sait qu’il est possible d’aller plus vite en économisant de la distance. Je pense que nous devrions avoir un système qui n’a pas de faille car cela nous force à prendre des trajectoires ridicules et tout le monde le fait, donc ce n’est pas un secret. Notre sport vaut mieux qu’un logiciel aussi mauvais. »
Dès août 2016, Carlos Sainz avait lui aussi perçu les impasses du fameux article 41 : « Quand vous évoluez au milieu du peloton, il est plus intéressant d’avoir une véritable Safety Car pour regrouper convenablement les voitures. Même si le système semble fonctionner, certains pilotes n’hésitent pas à jouer avec leurs températures de pneus ou tentent de créer des écarts avant leur passage au stand. Vous pouvez y gagner un avantage ou simplement désavantager les autres. Je ne pense pas qu’une telle chose contribue à l’image de la F1, mais ça reste mon opinion personnelle. »
Affaiblissant le spectacle, très imparfaitement équitable, la voiture de sécurité virtuelle nuit enfin à la compréhension et à la lisibilité du spectacle pour le fan. Le règlement est trop complexe et raffiné, et trop peu connu encore, pour le fan moyen, alors même que Liberty Media cherche à élargir son public aux jeunes et aux pays émergents. De même, les écarts entre pilotes, à la fin d’une période de voiture de sécurité virtuelle, varient parfois sensiblement, sans que l’on sache où tel pilote a pu gagner tel avantage. La F1 pêche parfois en voulant être trop subtile…
La voiture de sécurité virtuelle doit-elle ainsi être condamnée ? En course, le dimanche, de nombreux arguments plaident donc pour sa suppression. Sur le plan sécuritaire, aucun sacrifice ne devra être cependant consenti : en cas de sortie de piste d’une monoplace, comme dans le cas de Sutil à Suzuka, la voiture de sécurité et non le double drapeau jaune devrait être privilégiée. En essais libres ou en qualifications, conserver la voiture de sécurité virtuelle apparaît enfin souhaitable, puisque la question du spectacle et de sa lisibilité ne se pose plus.
La F1 dispose ainsi d’un moyen simple de davantage pimenter les courses en 2019… Mais verra-t-on Charlie Whiting, fervent promoteur de la voiture de sécurité virtuelle, avaler cette couleuvre ?