Le Grand Prix de Grande-Bretagne 1977 est un tournant historique. Il marque non seulement les débuts de Renault en Formule Un, mais il s’agit également de la toute première course d’un moteur turbocompressé dans la discipline. Jean-Pierre Menrath, ancien responsable des bancs d’essais chez Renault Sport F1, faisait partie de l’équipe qui étrenna la RS01 révolutionnaire à Silverstone. Il se remémore cet événement sans précédent dans l’histoire de la F1 :
« À l’époque, nous n’étions que 70 ou 80 personnes à Viry et nous travaillions sur divers projets. Nous préparions les moteurs qui couraient au Mans, en F3 et en F2, sans oublier le projet F1. Nous étions très occupés, et du coup seules 15 personnes ont travaillé sur le châssis F1 en attendant la fin des 24 Heures.
La monoplace a été finalisée au début du mois de juin, à temps pour participer à trois séances d’essais organisées au Circuit Paul Ricard, à Dijon, puis à Silverstone une ou deux semaines avant la course. Nous avons couvert environ 2 000 kilomètres, ce qui était satisfaisant à l’époque. Ça s’est plutôt bien passé, même si à chaque fois nous avons eu de légers problèmes. Rien de très important, mais tout de même quelques petits soucis qui nous ont empêchés de débuter au Grand Prix de France avant le Grand Prix de Grande-Bretagne. Il y avait un peu trop de risques et trop de pression pour faire nos débuts à la maison.
Se rendre à Silverstone restait néanmoins une entreprise ambitieuse. Tout était nouveau : nous avions un moteur turbo, ce que personne n’avait essayé de faire auparavant, un nouveau châssis, une écurie qui n’avait jamais concouru en F1 – nous avions participé à différents championnats mais jamais en F1 – un nouveau pilote et de nouveaux pneumatiques – il s’agissait également des grands débuts de Michelin en F1.
Nous sommes arrivés à Silverstone où plus de 30 voitures allaient se disputer les 26 places disponibles sur la grille via la séance de pré-qualifications. Heureusement, Bernie nous a accordé un passe-droit car il était crucial que Renault puisse au moins démarrer la course.
Nous sommes donc arrivés aux qualifications du vendredi et du samedi. La casse de deux turbocompresseurs a compliqué nos débuts le vendredi. Fort heureusement, tout est rentré dans l’ordre le lendemain. Nos rivaux craignaient tellement l’arrivée de Michelin que Goodyear avait apporté des pneus spéciaux pour les qualifications. Finalement, nous avons signé une bonne performance mais nous avons dû nous contenter de la 21ème place sur la grille, à 1.3sec de la pole. Au vu de notre roulage et de notre absence d’expérience en F1, cela correspondait globalement à nos attentes.
Le dimanche, nous avons pris un départ correct, surtout que nous appréhendions de voir le turbo hésiter au départ avec le risque d’être immédiatement dépassés par une autre voiture. Jabouille a perdu une place mais a réussi à trouver un bon rythme. Malheureusement, il a subi une rupture de la prise d’air et a été contraint de repasser par les stands. Nous avons réussi à changer la pièce pour repartir rapidement, mais c’est ensuite le turbo qui a cassé. Par la suite, les turbos sont devenus beaucoup plus fiables mais à cette époque ils étaient notoirement imprévisibles dans leur fonctionnement. L’amertume et la déception étaient grandes car nous pensions vraiment pouvoir finir la course. Les tests avaient donné des résultats satisfaisants et nous n’avions jamais rencontré ce genre de souci auparavant.
Après le Grand Prix, nous sommes retournés à la maison et avons étudié les différents problèmes survenus. Nous nous sommes penchés sur le système de refroidissement – il faisait chaud à Silverstone cet été là – et avons retravaillé les radiateurs. Nous avons également inspecté le turbo, qui s’est révélé plutôt simple à modifier. Au final, nous n’avons pas changé grand chose sur le moteur – les évolutions majeures sont intervenues plus tard, une fois la voiture devenue plus sophistiquée.
Cette année-là, nous avons participé à trois autres courses et nous avons beaucoup appris. Débuter en F1 à cette époque était aussi difficile que maintenant, mais le paddock nous a immédiatement pris au sérieux. Nous apprenions sur le tas et dans tous les domaines – freins, aérodynamique, suspensions, vraiment tout.
Quand je repense à cette période, je me rends compte que nous manquions vraiment d’expérience. Tout évoluait si vite, et nous croyions que chaque nouveau développement allait nous faire gagner. En fait, nous ignorions le véritable niveau à atteindre pour triompher. Cela dit, nous avons beaucoup appris, et lorsque nous sommes revenus avec Williams dans les années 1990, nous savions alors exactement ce qu’il fallait faire. »