Ce week-end, la Formule 1 retrouve l’Autodromo Hermanos Rodriguez pour la première fois depuis plus de vingt ans. Reconnu comme l’un des tracés les plus exigeants du calendrier, il avait été utilisé dans le cadre du Championnat du Monde de 1963 à 1970 puis de 1986 à 1992. Pour en comprendre tous les redoutables défis, nous avons rencontré Christian Blum, qui y a effectué le déplacement de 1987 à 1992 en tant qu’ingénieur moteur chez Williams puis Ligier.
« Dès notre première visite au Mexique, nous avons réalisé que c’était un lieu très exotique. Nous connaissions le Brésil et Rio à cette époque, mais Mexico était complètement différente. La ville est vraiment immense et était très polluée en raison des gaz d’échappement des gros camions et des vieilles voitures bloqués dans des bouchons interminables. Et ça klaxonnait en permanence. Après avoir enfin rejoint notre hôtel près de l’aéroport, je me suis rendu compte des effets de l’altitude en montant les escaliers sur le chemin de ma chambre. Monter un seul étage était épuisant ! »
« A la fin des années 80, la piste était délabrée. Les installations étaient vieilles et avaient clairement besoin d’être rénovées. Le circuit vivait encore dans les années 70. La surface était un patchwork de goudrons tous différents. Pas deux morceaux n’étaient identiques. Cela rendait l’ensemble très bosselé, pire qu’ailleurs. Après chaque séance, les pilotes se plaignaient amèrement du manque de grip et de la maniabilité cauchemardesque de la voiture. »
« Ces bosses et ce revêtement faisaient qu’il n’y avait en réalité qu’une seule trajectoire dans les courbes. Il était extrêmement difficile de dépasser. Des compromis sur l’aérodynamique étaient également nécessaires pour obtenir le grip voulu dans les virages serrés – encore plus avec les faibles pressions atmosphériques – tout en évaluant le risque de se faire déborder dans la longue ligne droite. Il fallait jongler tout le week-end : moins d’appui et moins d’adhérence dans les virages et sur les bosses, ou sacrifier la vitesse de pointe ? »
« En raison de l’altitude, le moteur était aussi moins puissant. Il perdait environ 20 %. Comme les températures étaient hautes, le refroidissement était à son niveau maximal. A l’époque du turbo, on devait apporter des turbos dédiés à cette manche tant les températures et pressions étaient extrêmes. »
« Il y avait des portions intéressantes sur ce circuit. A la fin du tour, Peraltada était une longue courbe rapide et ovale, similaire à la Parabolica de Monza. Mais elle était relevée, ce qui la rendait extrêmement difficile à négocier. La chicane après la longue ligne droite était aussi très excitante et les Esses à l’opposé étaient pris à des vitesses telles que vous pouviez voir les voitures rebondir sur les bosses. »
« Certaines courses y ont été mémorables, notamment en 1991 quand je travaillais avec Williams. Nous avions fait le doublé en qualifications avec Riccardo Patrese devant Nigel Mansell. Patrese avait pris un bon départ et occupait la tête, mais Mansell attaquait fort. Il n’y avait pas de consigne donc Nigel essayait à tous les virages durant tout le Grand Prix. Tant bien que mal, Riccardo a réussi à tenir bon et nous avons obtenu notre deuxième doublé. »
« L’édition 1992 avait été bonne également. J’étais passé chez Ligier et nous suspections un problème dans les composants internes du moteur. Nous avons dû envoyer une équipe spéciale de Viry à Mexico pour vérifier ses entrailles et changer les vitesses. Une opération délicate qui a été effectuée dans la cuisine de l’hospitalité ! Nous n’avions pas le choix, les garages étaient tous ouverts. D’une part, nos concurrents auraient pu nous voir, d’autre part, la poussière et le sable en suspension auraient plus endommagé les éléments internes. Au final, nous avons eu une bonne course en terminant dans le top dix. »
« Aujourd’hui, quand je vois le circuit, beaucoup de choses ont changé. C’est moins bosselé et Peraltada a été redessinée pour traverser un stade de baseball. C’est beaucoup plus serré et moins imposant qu’auparavant. Les virages lents sont toujours présents et devraient fournir de bonnes opportunités de dépassements. Je pense que nous devrions assister à de belles courses, comme à Austin. Avec l’altitude, les virages lents et les longues lignes droites, la fiabilité mécanique sera poussée à bout et les résultats pourraient être imprévisibles. »
« Dans l’ensemble, le spectacle sera impressionnant et les fans seront gâtés. Je note qu’il y a de nouvelles tribunes, ce qui est positif. Lors de notre dernière visite, il n’y en avait pas dans le dernier virage. Les gens se tenaient près de la piste ! On recensait beaucoup de chiens, tellement qu’il n’était pas rare d’en voir errer vers le circuit. J’espère que ce ne sera pas le cas cette année ! »