Les écuries de pointe trichent-elles avec les budgets plafonnés ? La question peut paraître abrupte mais pourtant, comme nous vous l’indiquions, la FIA prend le sujet très au sérieux.
La Fédération a émis une directive technique sur un point essentiel : les failles concernant le transfert de propriété intellectuelle entre les différentes divisions d’un même groupe.
Exemple concret : Red Bull, pour faire face aux budgets plafonnés, a dû licencier nombre d’employés de son équipe de course, Red Bull Racing (voir notre article).
Mais des employés auraient-ils pu aussi rebasculer de Red Bull Racing à Red Bull Advanced Technologies par exemple… ? Comment s’assurer qu’aucun élément aérodynamique du travail de Red Bull sur l’America’s Cup (voile), les bateaux ou les vélos ne soit applicable à la F1 ? Et ces employés continueraient-ils tout de même à travailler sur des programmes liés à la F1, de près ou de loin, au sein de Red Bull Advanced Technologies, sans être comptés dans les budgets plafonnés ?
De mêmes interrogations existent pour tous les constructeurs. Rien n’est encore prouvé, très loin de là, mais sur le papier, il serait tentant pour Mercedes de déployer des ingénieurs de la F1 vers la maison-mère de la marque. Mais qui sait, peut-être bien que certaines « trouvailles » des ingénieurs au sein de Mercedes AMG pourraient être utiles à la F1...
Renault, Ferrari, Aston Martin (qui dispose d’une division Performance Technologies) sont aussi logiquement dans le viseur.
De même que certains motoristes : rappelons que la division aéronautique (et moto) de Honda à Sakura a bien aidé au développement récent de l’unité de puissance japonaise en F1.
Ce que même Honda reconnaissait en 2021 par la voix de son chef du développement de l’unité de puissance : « Vous savez peut-être qu’une partie de ce qui nous a aidé à résoudre ces problèmes à l’époque était la coopération avec Honda Jet. Comme je l’ai mentionné, Honda Motor nous a aidés sur différents points, mais l’un des points que j’aimerais mentionner est le traitement des chemises de cylindre, produit par notre usine de Kumamoto - on l’appelle le traitement de Kumamoto. L’usine de Kumamoto est en fait une usine de motos, mais au sein de Honda, il existe une collaboration importante entre les secteurs de production des deux roues et des quatre roues. »
Or les budgets moteurs sont aussi désormais soumis à un plafond…
Ce n’est pas la première fois que ce sujet des transferts de coût déclenche la polémique. Helmut Marko en parlait d’ailleurs en octobre dernier (voir notre article), au moment où Red Bull était encore soupçonnée par la FIA d’avoir dépassé les budgets plafonnés pour 2021.
« Différents comptables de la FIA s’assoient avec nos comptables et discutent de toutes sortes de choses, par exemple sur qui travaille où au sein du groupe Red Bull." Nous avons différentes sociétés : Red Bull Advanced Technologies, Red Bull Technology, Red Bull Powertrains. Vous devez être très clair dans cette distinction » confiait alors l’homme fort de Red Bull.
D’ailleurs Rob Marshall, le nouveau directeur technique de McLaren F1 recruté chez Red Bull, ne travaillait plus tellement sur le programme F1, mais plutôt au sein de Red Bull Advanced Technologies : une preuve de plus montrant combien les budgets plafonnés ont bouleversé l’organigramme de chaque structure…
Certaines équipes déjà recadrées par la FIA ?
On imagine bien l’enfer que doit affronter la FIA pour contrôler une telle complexité de déploiements d’effectifs, de transferts de coûts et de propriété intellectuelle, etc. Comment prouver que tel développement dans telle division externe, ait pu être appliqué à la F1 ? A combien chiffrer cet éventuel apport ? Comment contrôler les emplois du temps de chaque ingénieur, chacune de leurs productions ? Bienvenue chez Kafka !
La récente directive technique numéro 45, de la FIA, vise à combler certaines de ses failles. Notamment en chiffrant plus précisément la valeur pécuniaire de l’éventuel apport de divisions « externes » aux programmes F1. Elle rappelle aussi précisément l’interdiction de transférer tout élément dune division externe à la F1, sans décompter la valeur de ce transfert dans les budgets plafonnés.
Mais cette directive est-elle suffisante ?
Pour l’heure, aucune équipe n’est certes accusée de quoi que ce soit. Un porte-parole de Ferrari a fait un rapide commentaire : « À la date d’aujourd’hui, 23 juin, la directive technique ne contient aucune disposition sur laquelle nous devrions nous pencher, et nous n’avons connaissance d’aucune enquête. »
Cependant selon plusieurs autres sources anglophones et italiennes, certaines équipes non-citées ont dû revoir leur copie et changer leurs pratiques. Mais le mal est fait et les pratiques frauduleuses auraient mis six mois en cette année 2023 avant d’être repérées…
Un problème déjà soulevé cette année
Notons qu’enfin, en mars dernier, Otmar Szafnauer relevait déjà ce problème fondamental devant plusieurs médias anglophones.
« Il semble que de plus en plus d’équipes font ceci avec leurs employés bien rémunérés [les mettre dans des divisions externes] pour des raisons de plafonnement des coûts »
« Toutes ces activités auxiliaires qui se développent maintenant - et elles n’existeraient pas sans plafond budgétaire en F1. Nous devons les examiner et nous assurer que les failles ne soient pas assez grandes pour que nous n’ayons effectivement pas de plafond [de coûts]. »
« Si vous avez une idée géniale de F1 parce que vous travaillez sur autre chose, comment comptabiliser ce à quoi vous avez pensé pendant que vous travailliez sur autre chose ? Et ce n’est qu’une idée ! »
« Mais si vous allez encore plus loin, il pourrait s’agir d’autres choses : développer des outils pour un bateau, ok… mais si cet outil s’applique à la F1 et que vous avez dépensé beaucoup d’argent pour développer cette innovation… alors vous ne tenez compte que marginalement de la F1 dans votre estimation des coûts. »