Une nouvelle saison, la plus dense de l’histoire de la F1, est en approche : elle sera pleine de défis et de difficultés pour les 10 équipes et les 20 pilotes, mais également pour le grand « arbitre » de ce sport, la Fédération Internationale de l’Automobile.
Alors que le président Mohammed Ben Sulayem vient de boucler sa première saison complète à la tête du navire amiral, place de la Concorde à Paris, quelles devront être ses priorités, quels seront les grands chantiers qui l’attendent pour 2023 en F1 ? Petit tour d’horizon…
Des nouveaux directeurs de course, pour quelle efficacité ?
Le premier grand chantier à mener, d’ailleurs de plus en plus urgent, sera celui de la direction de course.
Mohammed Ben Sulayem l’a déjà annoncé, cette saison 2023, la FIA devrait encore bouleverser son duo de directeurs de course. Le duo Niels Wittich-Eduardo Freitas, nommé en remplacement de Michael Masi, et vite qualifié de "pansement" par "MBS", est sur la sellette. Si Freitas a d’ores et déjà écarté, la position de Wittich est actuellement en suspens - et s’il est écarté, il pourrait tout de même rester en tant que "formateur" d’autres directeurs de course.
Telle est la sanction d’une année 2022 marquée par plusieurs polémiques. Il y a eu bien sûr le problème inénarrable de la constance des décisions prises, s’agissant des pénalités infligées aux pilotes, par exemple sur les limites de piste ou les accrochages en course.
Il y a eu encore des incidents plus sérieux. La liste n’est pas peu remplie : citons l’incident de la grue en piste à Suzuka, qui a coûté son poste à Eduardo Freitas. Ou bien l’imbroglio sur les pneus de départ à Monaco ; ou encore la recevabilité de la protestation faite par Haas à Austin (la FIA s’était déjugée plusieurs fois sur les délais réglementaires de la prise en compte de la plainte) : sur ces deux événements, Niels Wittich était en cause et cela lui a donc aussi coûté cher. L’intransigeance de Niels Wittich sur le sport de bijoux en course a également été mal perçue par les pilotes, et a renvoyé une image négative de la FIA qui ne s’intéresserait qu’aux peccadilles…
En réalité, il y a deux problèmes à gérer pour Mohammed Ben Sulayem. L’un de court terme : il faudra vite trouver un ou des remplaçants efficaces, et faire en sorte que ce (nouveau) changement n’apporte pas encore plus d’instabilité et d’incohérence dans les décisions prises – qui seront observées de près, tant les enjeux financiers et sportifs sont importants. Ne risque-t-on pas aussi de confondre vitesse et précipitation ?
Il y a également un chantier de long terme à mener : celui de la formation de directeurs de course. Mohammed Ben Sulayem avait évoqué l’hypothèse de former des co-pilotes de WRC. Ce qui est clair en tout cas, c’est que tout cela prendra du temps – mais la FIA peut-elle se le permettre ?
La liberté d’expression des pilotes : accrochages et polémiques en vue ?
Avoir des directeurs de course d’expérience et sereins sera d’autant plus nécessaire, pour gérer un autre front que la FIA a décidé d’ouvrir elle-même : celui de la liberté d’expression des pilotes.
Mohammed Ben Sulayem a confirmé que les pilotes devraient demander une autorisation préalable pour s’exprimer sur des sujets « politiques » (reste à voir la définition de ce terme assez flou). Des sanctions allant jusqu’à des pénalités sur la grille par exemple, pourront être prises.
Ce qui n’est pas sans poser sans question : la FIA, qui cherche à éteindre les polémiques extra-sportives, ne va-t-elle pas au contraire en ouvrir de nouvelles si par exemple Lewis Hamilton était pénalisé de trois places sur la grille, pour avoir critiqué les politiques environnementales de tel ou tel pays ?
Ce point pose plus largement la question de la confiance accordée aux pilotes, au poids de leur parole.
C’était une problématique qui avait embarrassé la FIA lors du dernier Grand Prix d’Arabie saoudite, où des missiles des rebelles houthis avaient menacé la tenue du Grand Prix. Les pilotes s’étaient même réunis, ce qui arrive fort rarement, en assemblée générale, et il avait fallu l’intervention de la FIA et des directeurs de course pour les convaincre de courir.
Avec cette nouvelle restriction sur leur poids politique, les pilotes ne vont-ils finalement pas se lasser de la main de fer de Mohammed Ben Sulayem ? Le dossier des relations avec les principaux acteurs de ce sport, devra donc être géré avec doigté.
Nul doute que le départ de Sebastian Vettel soulage Mohammed Ben Sulayem, mais il risque de trouver en les pilotes Mercedes, George Russell (président du GPDA) et Lewis Hamilton, des pilotes à qui parler.
Un effort sur la transparence à poursuivre
La FIA n’a certes pas la vie facile, chacune de ces décisions pouvant avoir de grandes répercussions financières pour des constructeurs mondiaux.
C’est pour cela que pour toute décision prise, les équipes lui mettent une forte pression pour faire preuve de plus de transparence. Il est vrai que la FIA a aussi peu donné l’exemple par le passé : chacun se souvient de l’accord secret trouvé avec Ferrari sur l’affaire du moteur (plus ou moins) illégal de 2019… A ce jour, on ne connait encore ni l’étendue des sanctions dont a écopé la Scuderia, ni l’étendue des infractions réglementaires commises à l’époque.
Il faut reconnaître que la FIA a progressé sur ce point. Par exemple sur l’incident de la grue en piste à Suzuka, la FIA avait publié un rapport plutôt détaillé, et rapidement… même s’il accusait encore davantage Pierre Gasly d’avoir accéléré en piste, que la direction de piste d’avoir assisté au déploiement d’une grue sans drapeau rouge…
Andreas Seidl, alors directeur de l’écurie McLaren en F1, avait ainsi félicité la transparence de la FIA : « Chaque fois que des choses comme celles-ci se produisent, la chose la plus importante pour moi est qu’il y ait un dialogue ouvert et transparent à ce sujet, et l’analyse du rapport a été honnête de même que les enseignements à en tirer. »
C’est à une même transparence à laquelle nous avons assisté suite à la sanction infligée à Red Bull pour non-respect des budgets plafonnés. La FIA, après avoir trouvé un accord avec Red Bull sur la sanction (elle aussi publiée), avait listé précisément le total des 13 griefs reprochés à Red Bull (voir notre article).
Une communication mieux maîtrisée de Mohammed Ben Sulayem
Il faudra cependant faire attention, du côté de la FIA et de Mohammed Ben Sulayem, à ne pas voir ces réels efforts être gâchés par une imprudence ou un autoritarisme dans la communication.
Le président de la FIA semble parfois trop enclin à régler ses comptes en public. Le meilleur exemple en est le gala FIA, fin 2022, où Christian Horner et Mohammed Ben Sulayem s’étaient allés à une petite passe d’armes, lavant leur linge sale en famille.
Christian Horner évoquait alors la confusion de Suzuka 2022, où Max Verstappen avait été confirmé tardivement champion du monde... alors que personne ne savait combien de points avaient été attribués à la fin de la course.
Christian Horner avait blagué sur cet incident en présence de Mohammed Ben Sulayem sur scène… lequel avait ainsi répondu : « Une chose que vous avez dite à propos du Japon, vous avez dit que c’était confus. Non ! La FIA a été blâmée pour la distribution des points mais ce n’est pas la FIA qui a établi ces règles, ce sont les équipes qui ont établi ces règles (après le fiasco de Spa 2021) et nous les avons mises en œuvre. »
La communication de Mohammed Ben Sulayem devra ainsi être plus lisse et fluide, pour ne pas donner l’image d’un Président toujours en tension ou sur la défensive, prêt à mordre pour affirmer son autorité – comme ce fut peut-être le cas aussi sur l’affaire des bijoux.
Des relations avec la FOM à clarifier
Pour le bien du sport, la FIA devra également absolument détendre ses relations avec la FOM.
Un point de crispation est encore apparu récemment : Mohammed Ben Sulayem a semblé beaucoup plus enthousiaste que la FOM pour accueillir le projet Andretti-Cadillac en F1.
La FOM avait en effet elle reçu plus froidement la nouvelle du partenariat Andretti-Cadillac, en rappelant vouloir « maintenir la crédibilité du sport. »
Ce à quoi Mohammed Ben Sulayem avait répondu (en visant aussi les autres équipes) : « Il est surprenant qu’il y ait eu des réactions négatives aux nouvelles concernant Cadillac et Andretti. Ces dernières années, la FIA a accepté l’inscription de petites organisations performantes. Nous devrions encourager les arrivées potentielles en F1 de constructeurs mondiaux comme GM, et de compétiteurs acharnés comme Andretti et d’autres. L’intérêt des équipes des marchés développés ajoute de la diversité et élargit l’attrait de la F1. »
Au passage, la pique de Mohammed Ben Sulayem envers les « « petites organisations » n’avait pas du être bien appréciée par Haas, Williams et consorts. Là encore, c’est le signe d’une communication à mieux maîtriser.
Un deuxième point sérieux de tension était apparu aussi l’an dernier, sur la possibilité de doubler les courses sprint. La FIA, sans doute pour une affaire de coûts et de revenus avec la FOM, avait paru longtemps bloquer le processus… au point même d’étonner les directeurs d’équipe en F1.
Le ton employé sur le moment par Mohammed Ben Sulayem laissait bien transparaître un tel manque d’enthousiasme : « Je soutiens ces courses supplémentaires si c’est la bonne chose à faire. Je ne dis pas que ce n’est pas le cas, mais que nous avons du temps pour en décider. Nous parlons de 2023, pas de la saison en cours. Il n’y a pas le feu. Et nous sommes en démocratie : la Formule 1 vote, les équipes votent, je vote. Si je n’ai pas le droit de m’abstenir ou d’étudier les propositions, alors il n’y a plus de liberté et ce n’est plus une démocratie. »
La surveillance des budgets plafonnés
Enfin, un dernier point central à gérer par la FIA sera la surveillance des budgets plafonnés. Tout le monde, du côté des équipes ou de la FIA, est d’accord au moins sur un point : il s’agit d’un processus très complexe, avec une kyrielle de chiffres et de lignes de comptes à maîtriser…
Or, en période d’inflation, la tentation de jouer avec les limites sera encore plus grande… La FIA aura donc une plus grande responsabilité de veiller au respect des budgets plafonnés.
Ce dont Mohammed Ben Sulayem est très conscient puisqu’il déclarait tout récemment :« J’espère que personne ne cache quoi que ce soit avec le plafonnement des coûts car ils savent que nous les surveillons, c’est l’une des tâches qui nous incombent. Nous devons continuer à travailler et faire en sorte que les petites équipes se rapprochent des grandes. »
Mais ces menaces ne cachent-elles pas aussi presque la frayeur de Mohammed Ben Sulayem devant l’ampleur de la tâche ? Car la FIA ne dispose encore que de peu de moyens pour vérifier la tenue des budgets plafonnés, et procède encore beaucoup sur des contrôles a posteriori et sur la base des déclarations des équipes.
De surcroît, avec de multiples équipes menant des projets de fond et d’investissements (Aston Martin F1 par exemple avec la construction d’une nouvelle usine, Red Bull avec Red Bull Powertrains…) la tentation de « reporter » des dépenses de fonctionnement comptées dans les budgets plafonnés dans le budget investissement (non-décompté dans les budgets plafonnés) sera plus marquée encore.
Une question de moyens ?
Bref, cette année 2023 est pleine d’embûches potentielles pour la FIA et Mohammed Ben Sulayem, et ce, dans un contexte où la confiance envers la Fédération n’est pas des plus grandes.
Plus généralement, sur les budgets plafonnés comme sur les autres thèmes, la liste de ces défis pose une question centrale. Alors que la F1 s’est immensément développée ces dernières années, la FIA a-t-elle accru ses moyens en proportion ? Ou pour le dire plus directement : la F1 n’est-elle pas devenue trop grande pour la FIA ?