Comme James Allison le confiait récemment, le directeur technique en F1 est désormais moins un ingénieur qu’un manager (voir notre article). L’ère du génie solitaire sur sa planche à dessins, Newey excepté, peut-être, est bien révolue. Vu la taille des équipes de F1 modernes, le défi est d’une toute autre nature de nos jours.
Pour le site officiel de la F1, Jody Egginton, le directeur technique d’AlphaTauri, en a justement dit plus sur les coulisses de son travail.
A commencer par sa différence avec le rôle d’ingénieur de course en chef, le poste précédent de Egginton durant sa carrière. Ces deux postes ont-ils vraiment quelque chose en commun ?
« En tant qu’ingénieur de course ou ingénieur en chef, la pression augmente ou diminue en fonction de la préparation d’un Grand Prix. Vous avez un Grand Prix qui se termine et qui se transforme en un autre. Dans ce travail de directeur technique, vous avez toujours une certaine pression de base : la pression est plus constante. Il y a cependant des pics, en fonction de l’endroit où vous vous trouvez dans le cycle de développement, du budget et de l’élaboration de la voiture de l’année suivante. »
Un directeur technique, a pu dire un ancien du paddock, est comme le roi Salomon devant rendre ses jugements : c’est-à-dire qu’il doit trancher entre le possible et le souhaitable, et faire des compromis car tout n’est pas réalisable faute de temps ou d’argent.
Egginton approuve la comparaison.
« C’est assez juste ! Nous sommes une organisation axée sur les données, mais la réalité est que les décisions doivent être prises en fonction de ce qui nous permettra d’obtenir les meilleures performances. Que pouvons-nous faire pour atteindre nos objectifs à court, moyen et long terme ? C’est une question de jugement car, dans de nombreux cas, aucune décision n’est la pire. »
« Inévitablement, certaines personnes ne seront pas satisfaites de vos décisions, mais cela fait partie du jeu. Au final, si l’équipe se développe et que la voiture devient plus rapide, tout le monde est à l’aise. Les problèmes surviennent si vous prenez ces décisions et que les choses ne s’améliorent pas. »
« Cela dépend de la décision. Pour certaines choses, vous devrez peut-être revoir votre position et vous devez limiter au maximum le nombre de fois où vous perturbez le processus. C’est pourquoi il est si important d’avoir un groupe d’ingénieurs techniques expérimentés dans l’équipe pour travailler en étroite collaboration avec eux et boucler la boucle. »
Egginton décrit en détails l’immensité des tâches qu’il doit superviser... et s’il ne peut pas tout maîtriser, il est tout de même le premier responsable !
« Je suis responsable des performances des véhicules, de l’aérodynamique, de la conception des voitures, mais je suis aussi responsable du budget technique et de l’informatique. C’est un large éventail de sujets et c’est intéressant et fantastique, mais cela signifie que les lignes de communication doivent rester ouvertes - parce que je ne suis pas expert dans beaucoup de ces domaines. »
« Cela dit, au bout du compte, c’est moi qui suis responsable. Si la voiture ne répond pas aux attentes, quelles qu’en soient les raisons, c’est moi qui suis responsable ! »
Le management d’un directeur technique : explications
Concernant son style de management, à quoi s’intéresse en priorité le directeur technique d’AlphaTauri ? Peut-il et doit-il s’immiscer dans les détails de chaque département ?
« J’ai besoin de comprendre ce qui se passe sans faire de la micro-gestion : je ne dois pas essayer de faire leur travail à leur place car a) je ne serai pas capable de le faire aussi bien qu’eux et b) il est inutile d’avoir une structure si vous ne l’utilisez pas. »
La place d’un directeur technique est-elle d’ailleurs sur le circuit, durant les week-ends de Grands Prix ?
« J’ai assisté à moins de courses sur les pistes l’an dernier - mais que vous soyez sur le circuit ou dans la salle des opérations, vous êtes toujours au top. Le groupe d’ingénierie de course et le groupe de performance des véhicules me rendent compte et s’il y a une décision à prendre, je suis heureux de la prendre s’ils ne parviennent pas à un consensus. »
« Mais il faut employer les personnes les plus intelligentes possibles et les laisser faire leur travail. Je crois que si vous avez un bon débat, que vous faites travailler les gens ensemble et que vous leur donnez la liberté d’utiliser leur expertise, tout s’assemble. Si vous devez intervenir sans cesse, c’est que quelque chose ne va pas, mais si je me contente d’écouter et de faire occasionnellement une suggestion dans la discussion générale, alors tout se passe bien. »