L’état-major de la Scuderia Ferrari a donc tranché et décidé d’écarter Mattia Binotto pour la saison prochaine. L’Italien paie ici le prix d’une saison en 2022 contrastée – malgré des performances pures en hausse par rapport à l’an dernier, un sentiment de gâchis prédomine alors que la stratégie, la fiabilité ou les erreurs aux stands ont coûté cher à Charles Leclerc dans la lutte pour le titre mondial.
Comment interpréter la décision de John Elkann ? Le choix d’écarter Mattia Binotto tendrait à montrer que le petit-fils de Gianni Agnelli demanderait désormais des résultats immédiats, sur le court terme, à son équipe ; et qu’il était lassé par les discours et la communication angélique de Mattia Binotto. Ce dernier appelait, lui, plutôt à la patience, étant donné la restructuration interne en cours à Maranello.
Car en effet, tout le plaidoyer, tout le discours de Mattia Binotto, depuis 2019 et sa prise de fonctions, était basé sur ce narratif : Ferrari, malgré son histoire, est une équipe jeune, qui a besoin de temps pour se reconstruire. Il faut laisser du temps au temps… et à Mattia.
C’est ainsi qu’en mai 2019, Mattia Binotto rappelait que Ferrari était une équipe en reconstruction, et comparait sa situation à celle du début de l’ère Jean Todt, en 1995 (deux années après la prise de fonctions de Todt).
« Je vois des parallèles entre notre situation et la situation de l’équipe à l’époque, autour de 1995 et 1996. C’était avant que Ferrari ne rencontre un énorme succès. A cette époque, il y avait aussi une phase d’apprentissage et de développement, comme aujourd’hui. Il y avait cette super équipe que nous avons vue après, mais elle n’était pas encore opérationnelle. »
L’autre argument brandi par Mattia Binotto était celui de la jeunesse de l’équipe Ferrari. Cela peut évidemment faire sourire de prime abord étant donné que la Scuderia est une équipe historique de la F1… Mais par « jeune », Mattia Binotto entendait rappeler que la plupart des ingénieurs à Maranello étaient relativement peu inexpérimentés.
Il l’expliquait ainsi encore en novembre de l’an dernier : « Il faut du temps pour retrouver la victoire, et c’est une question de passion et de stabilité. Nous avons décidé d’investir dans notre avenir à moyen et long terme. Et quand vous investissez, vous investissez dans les jeunes. Nous sommes, d’une manière générale, une équipe jeune. Il n’y a pas que les pilotes, même les ingénieurs, les mécaniciens sont assez jeunes. »
Et fort logiquement, Mattia Binotto se plaçait dans une perspective de moyen terme en demandant du temps à son état-major.
En 2022, pour Binotto, Ferrari était dans la même situation qu’en 1998
Si l’on se place donc dans la perspective chronologique de Mattia Binotto, en 2019, Ferrari était « comme » en 1995, au début de l’ère Jean Todt. Cette chronologie tient-elle la comparaison si l’on tire son fil ?
Par extension, l’année 2020 de Ferrari serait comparable à l’année 1996 selon la chronologie Binotto. Qu’en est-il alors ? En réalité, cette saison 2020 fut marquée par un terrible recul de Ferrari (6e place au classement des constructeurs), non par un progrès. Or 1996 fut une saison de progrès pour Ferrari, notamment avec la première victoire de Schumacher en Espagne 1996, et surtout avec la 2e place au classement des constructeurs (3e en 1995).
On pourra certes expliquer ou relativiser ce recul de 2020 de Ferrari par les conséquences de la sanction mystère infligée par la FIA, sur les soupçons d’infraction réglementaire autour de l’unité de puissance...
L’année 2021 aurait donc été l’année 1997 dans la chronologie Binotto. En 1997, on se souvient que Michael Schumacher avait été dans la course au titre mondial face à la Williams de Jacques Villeneuve jusqu’à la dernière course. Ferrari avait aussi fini 2e au classement des constructeurs. Or en 2021, la lutte pour le titre se jouait entre Red Bull et Mercedes, et Ferrari était hors-jeu, sauf quelques coups d’éclats (3e place finale).
L’année 2022 selon Binotto serait donc comparable à ‘l’année 1998 de Ferrari. Cette année-là, Michael Schumacher avait encore une fois lutté jusqu’au bout pour le titre mondial, face à la McLaren de Mika Hakkinen. Et en effet en 2022 aussi, Ferrari a paru jouer le titre en début d’année… avant de dévisser. Là encore la comparaison n’est donc pas tout à fait flatteuse.
« Être compétitif est une chose, devenir champion en est une autre »
Le récit de Mattia Binotto appelant à la patience est donc ainsi partiellement invalidé, si l’on se réfère à cette comparaison chronologique. Jean Todt a paru, en son temps, plus efficacement redresser la Scuderia qui avait lutté pour le titre en 1997 comme en 1998, et ce jusqu’au bout - pas la Scuderia Ferrari de Mattia Binotto en 2021 ou 2022.
Les progrès de Ferrari en termes de performance pure sont certes indéniables ; mais en juin dernier, Mattia Binotto avait fait le bon diagnostic en déclarant ceci : « Nos objectifs étaient de redevenir compétitifs en 2022. Nous voulons donc être compétitifs, pas gagner le championnat, et ce serait une mauvaise chose de transformer ça en : ’Essayons de gagner le championnat car nous sommes si compétitifs’. Être compétitif est une chose, devenir champion du monde est une toute autre tâche. »
Et en effet, si Mattia Binotto a été écarté par Elkann, c’est moins en raison de cette compétitivité en progrès, que pour cette incapacité apparente à impulser ce dernier coup de rein, qui permettrait à la Scuderia de lutter et de remporter un titre mondial.
Le parallèle avec l’ère Jean Todt avait sa pertinence, mais la comparaison utilisée par Mattia Binotto, pouvait donc aussi se retourner contre lui-même. Le fait est que l’ère Jean Todt avait mieux commencé que n’avait commencé l’ère Binotto : une raison nécessaire et suffisante, semble-t-il, pour ouvrir une autre page dans l’histoire Ferrari.