Un documentaire appelé "Villeneuve-Pironi : Racing’s Untold Tragedy", diffusé en Grande-Bretagne, revient sur la relation entre Gilles Villeneuve et Didier Pironi. Equipiers chez Ferrari, les deux hommes étaient amis, mais l’enjeu de se battre possiblement pour le titre les a éloignés, menant au tragique accident de Zolder.
Joann Villeneuve, femme de Gilles et mère de Jacques, se souvient évidemment de cette histoire, mais n’avait jamais réussi à en parler publiquement. Elle explique s’être plongée dans les émotions ressenties à l’époque pour évoquer cette page tragique de la F1.
"C’était tout simplement trop difficile de raconter l’histoire avant" admet-elle. "Mais lorsque j’ai décidé que c’était le moment, j’ai compris que les émotions que j’avais ressenties à l’époque sont toujours les mêmes."
"Les faits sont les faits et vous ne pouvez pas les changer. Les émotions vont avec et la plus grande a été la trahison. Parfois, on se dit ’j’ai peut-être réagi de manière excessive à l’époque’, mais on se rend compte que non, c’est toujours comme ça que je vois les choses aujourd’hui."
La trahison dont elle parle, c’est celle de Didier Pironi n’ayant pas écouté les consignes à Imola, qui avait poussé Gilles Villeneuve à dire qu’il ne ferait plus "l’erreur" de "faire confiance" à son équipier. Joann Villeneuve se rappelle de la colère impossible à éliminer.
"Pour Gilles, la loyauté est une chose si forte qu’il n’avait jamais imaginé que cela puisse arriver. La colère qu’il a ressentie était mêlée à la déception d’avoir été trompé par Didier. Si on triche, ce n’est pas de la course. Gilles a ressenti cette énorme trahison de la part de quelqu’un qu’il croyait être un ami."
Un pilote "impitoyable" mais "juste"
Joann Villeneuve se souvient que son mari était un pilote rugueux en piste, prêt à beaucoup de choses, mais qu’il avait un sens du danger clair : "Gilles était impitoyable en tant que pilote, mais sur la piste, il était très conscient des dangers."
"Gilles était un pilote juste et honnête, tout le monde l’a vu avec Arnoux à Dijon, ils se touchaient avec les roues mais ils avaient encore assez de respect l’un pour l’autre. Pour lui, la course c’était ça, ne pas aller à l’encontre des règles de l’équipe pour gagner."
Mais après Imola, Villeneuve était prêt à tout pour battre Pironi. Cependant, Joann Villeneuve refuse de penser que son jugement ait été affaibli par cette soif de revanche, et rappelle qu’il s’agissait juste d’une mésentente en piste avec Jochen Mass.
"Il était toujours en colère, mais quand Gilles était dans la voiture, il était dans une bulle et rien d’autre ne pouvait y entrer. Il était en mode course et ce qui se passait à l’extérieur n’affectait pas vraiment la conduite."
"L’accident est dû à un malentendu avec Jochen. Jochen essayait de s’écarter de la trajectoire, Gilles pensait qu’il resterait là, c’était juste une erreur stupide de la part des deux, ce n’était pas vraiment la faute de quelqu’un. Cela aurait pu arriver de toute façon sans l’épreuve d’Imola."
Elle se rappelle aussi d’avoir appris le décès de Gilles, et d’avoir dû le gérer dans le paddock : "C’était accablant. On a le sentiment qu’il faut être fort pour les enfants, et pour gérer la situation. Mais c’était très difficile de voir tout ce qui se passait. J’ai senti que je devais être plus forte que s’il s’agissait d’une cérémonie publique."
"On ne peut pas jeter" ces souvenirs
Avec le temps, et bien qu’elle ressente encore les mêmes émotions, elle comprend mieux ce qu’a pu vivre Didier Pironi. Le pilote français arrêta sa carrière quelques semaines plus tard après un grave accident à Hockenheim, et se tua plusieurs années après en bateau.
Mais entre temps, elle est convaincue qu’il gardait une souffrance : "Je pense qu’il a été surpris par la réaction de Gilles. Je pense qu’il pensait pouvoir régler le problème, mais qu’il n’a pas pu le faire après le décès de Gilles. C’était un lourd fardeau qu’il devait aussi porter."
"Je pense que tout cela fait partie de votre bagage de souvenirs, certains sont bons, d’autres mauvais. Certains sont merveilleux, d’autres intenses. Tout ce que vous vivez, bon ou mauvais, reste en vous et vous construit, vous ne pouvez rien jeter, tout est là."
Interrogée sur le soutien qu’elle a apporté à son fils Jacques malgré le fait d’avoir perdu son mari en Formule 1, elle explique que l’inverse lui paraissait impossible : "Comment aurais-je pu dire non à Jacques alors que j’avais soutenu son père dans la même démarche ?"
"Je ne pouvais pas me résoudre à briser son rêve. Il s’agissait plutôt de dissocier les deux événements. Tout cela laisse la place à la fierté de voir Jacques réussir dans une situation si difficile. Il avait tellement de pression et d’attentes sur lui quand il a commencé et il a surmonté tout cela.