L’introduction des budgets plafonnés, à compter de 2021, a été ainsi validée par le Conseil Mondial du Sport Automobile. Le but est de réduire les écarts de performance entre les écuries de pointe et le milieu de grille, en limitant les dépenses faramineuses de Ferrari, Mercedes et Red Bull, qui disposent aujourd’hui d’un budget trois à quatre fois supérieur aux plus petites écuries.
Le principe des budgets plafonnés a été maintes fois rappelé : les dépenses totales d’une équipe seront limitées à 175 millions de dollars. Mais il y a un hic, ou plutôt deux en particulier. Tout d’abord, il existe de nombreuses exceptions à ce montant (dépenses marketing, salaire des pilotes et des trois dirigeants ou ingénieurs les mieux payés, achat de l’unité de puissance, dépenses des programmes « Heritage » ou « Historique »). Du reste, certaines écuries, y compris Renault, sont en encore loin d’approcher ces 175 millions - un montant assez élevé, plus encore avec ces exceptions. Günther Steiner, pour ces raisons, souhait ainsi un montant proche de 100 millions de dollars…
La deuxième grande faille a été rappelée récemment par Christian Horner : les budgets plafonnés n’entreront en vigueur qu’en 2021… ce qui permettra donc aux écuries de pointe de dépenser un maximum d’argent en 2020, pour prendre de l’avance sur l’année suivante. De fait, les écarts entre le milieu de grille et les écuries de pointe risquent d’être encore substantiels en 2021, et devraient même être ironiquement aggravés par le nouveau règlement.
Ces deux critiques de taille sont connues et ont été à de nombreuses reprises évoquées ces dernières semaines. Il s’agit ici de s’intéresser à des failles potentiellement moins importantes mais qui ont été, elles, évoquées de manière bien moins systématique.
Une première crainte peut naître quant à l’évolution de la hiérarchie au fur et à mesure des saisons à partir de 2021 : cette hiérarchie, en raison des limitations aérodynamiques et financières introduites en 2021, pourrait bien se figer plus qu’espéré. Du même coup, si une équipe (Mercedes au hasard) prenait une immense avance dès 2021, les autres équipes auraient bien plus de mal à la rattraper.
Pourquoi cela ? Car même si les équipes pourront dépenser autant qu’elles le veulent l’an prochain, elles seront limitées dès 2021. Or, si Red Bull, par exemple, s’aperçoit avoir fait totalement fausse route au début de la saison 2021, rattraper ce retard sera bien plus difficile pour l’équipe en raison de l’introduction des budgets plafonnés. Par conséquent, la FIA et la FOM prennent le risque de sceller pour plusieurs années l’avantage d’une équipe.
C’est en somme le même risque qui avait été pris, en 2014, sur le plan du développement moteur, avec le système des jetons, qui limitait l’introduction de nouvelles évolutions, alors même que Mercedes avait pris un grand avantage. Le fait que l’introduction d’évolutions (sur le plan aérodynamique) sera elle aussi plus limitée, accroît d’ailleurs encore ce risque de hiérarchie figée.
Une deuxième faille du règlement financier concerne la séparation, dans les budgets plafonnés, entre dépenses « liées à la performance » (selon la nomenclature désormais officielle de la F1) et dépenses « non-liées à la performance directe de la voiture. » C’est ainsi que la FOM a justifié l’exclusion de certaines dépenses des budgets plafonnés. Mais cette distinction est très hasardeuse. Le salaire des pilotes, l’une des exceptions aux budgets plafonnés, influence en réalité forcément la performance de la voiture sur la piste, ne serait-ce que par la capacité d’un metteur au point confirmé (à l’image de Kimi Räikkönen ou de Lewis Hamilton) à faire progresser la voiture en cours de saison. Et que dire aussi de l’exclusion des trois plus gros salaires de l’équipe ? Prenons Adrian Newey chez Red Bull : il est probable, vu son CV, qu’il soit l’un des trois plus gros salaires de l’écurie. Et bien évidemment, son influence, sur la performance directe de la future Red Bull, ne sera pas à démontrer…
Une troisième inquiétude naît de la contradiction créée entre, d’une part, la volonté de réduire les coûts et, d’autre part, d’étendre le calendrier à 25 courses à moyen terme. Une course en plus signifie, pour une petite équipe comme Williams par exemple, des frais de logistique supplémentaires (certes exclus des budgets plafonnés, mais qui grèvent le budget d’une petite structure), le développement de pièces supplémentaires (dont des pièces de rechange), des primes aux employés (surtout en cas de rupture de couvre-feu).
Certes, cette extension du calendrier devrait être contrebalancée par l’accroissement des revenus globaux de la F1 et par la réduction du format d’un week-end de Grand Prix (la journée du jeudi étant la principale victime)… mais là encore, la FOM donne l’impression de tirer dans un sens et la FIA dans l’autre.
Enfin, le dernier point que l’on peut relever tient à l’influence de l’inflation sur l’évolution des budgets plafonnés. Les 175 millions de dollars devraient rester fixes en 2022… alors même que l’inflation des salaires, au Royaume-Uni (là où la plupart des équipes sont basées) a connu une hausse historique de 4 % cette année. Si rien n’est fait pour augmenter le montant des budgets plafonnés, d’ici trois ans, le budget des équipes, en termes réels, pourrait donc être amené à baisser de près de 12 % ! Mais la situation est complexe : car l’inflation, en Italie (là où Ferrari et Toro Rosso sont basées) est bien moindre qu’au Royaume-Uni. Faudra-t-il alors réévaluer le montant des budgets plafonnés en différenciant Suisse (Alfa Romeo), Italie et Royaume-Uni ? Un nouveau casse-tête pour la FOM…
L’introduction des budgets plafonnés, à n’en pas douter est, globalement, une idée saine, bienvenue, longtemps attendue, qui devrait rendre le sport plus viable et plus imprévisible à moyen terme. Mais comme on le voit avec ce tour d’horizon, il s’agit aussi d’une vaste entreprise dont les ramifications et les répercussions sont probablement aussi diverses que complexes à prendre en compte.