Le ‘champion posthume’ : c’est ainsi qu’encore aujourd’hui, la mémoire, la légende de Jochen Rindt perdurent.
L’Autrichien fut en effet sacré champion au terme de la saison 1970 – alors même qu’il avait trouvé la mort lors des essais du Grand Prix d’Italie. Mais l’avance qu’il avait prise, dans sa formidable Lotus 72, l’œuvre de Colin Chapman, ne permit pas à la concurrence, notamment celle du pilote Ferrari Jacky Ickx, de le rattraper.
Herbie Blash, ancien pilier de Brabham puis de Lotus dans les années 70, et aujourd’hui conseiller principal permanent de la direction de course de la FIA, s’est souvenu, pour le podcast "Beyond the Grid", du pilote et de l’homme Rindt.
Rindt avait une lourde tâche chez Lotus : faire oublier Jim Clark, tué au volant en 1968. Mais Rindt y était bien prédisposé, se rappelle Blash.
« La première fois que j’ai vu Jochen, c’était en Formule 2, il était une star, et quand je l’ai rencontré à son arrivée chez Lotus, c’était un type très décontracté, très drôle. Pour une raison que j’ignore, je me suis très bien entendu avec lui. Peut-être parce que je devais lui allumer une cigarette après les essais libres et la course. »
« C’était un pilote incroyable. Si vous parlez de capacités naturelles, il en avait. Techniquement, il n’avait rien de spécial. Jochen était un gars très gentil, je m’entendais très bien avec lui. Il se donnait à 100 %. »
Très proche de Rindt, Blash fut donc d’autant plus brisé par l’accident fatal dans la parabolique de Monza, en 1970.
Le contexte tenait alors presque de la tragédie racinienne : Chapman avait poussé Rindt à adopter des réglages plus agressifs, avec une plus grande vitesse de pointe ; et Rindt lui-même était de plus en plus inquiet pour la sécurité en F1, après les décès, cette même année 1970, de son ancien coéquipier Bruce McLaren et de Piers Courage (duquel il était proche).
Après le décès de Rindt, Bernie Ecclestone, qui était alors le manager de l’Autrichien, voulut prendre du recul et s’éloigner de la F1 (il achèterait finalement Brabham, recrutant Blash au passage).
Et Blash lui-même ? Ne s’est-il pas interrogé sur son engagement après le drame ?
« Oui, parce que j’avais vu d’autres accidents mortels en Formule 1, avec des gens que je connaissais. Je n’ai jamais oublié qu’à Hockenheim, on prenait le petit-déjeuner et que le lendemain, des gars n’étaient pas là pour le petit-déjeuner. Mais lorsqu’il s’est agi de Jochen, j’ai été très touché parce que, malheureusement, j’étais le petit gars de l’équipe. Je n’avais que 21 ans et je devais aider Bernie à tout régler. »
Et Blash de livrer alors une anecdote bouleversante : c’est lui, en tant que proche de Rindt, qui a rassemblé les affaires du pilote défunt, et a ramené sa voiture personnelle dans la maison de Rindt, en Suisse.
« Ensuite, j’ai dû ramener la voiture de Jochen à sa maison en Suisse, j’ai pris ses affaires dans sa chambre d’hôtel. J’étais seul parce que Colin avait demandé à l’équipe de quitter immédiatement l’Italie, car il avait manifestement vécu cette situation avec Jim Clark et [Wolfgang] Von Trips. »
« Et comme nous l’avons vu avec Senna, la voiture est confisquée [en cas d’accident mortel] et vous risquez de ne jamais la récupérer. Vous n’êtes même pas autorisé à aller l’inspecter pour voir ce qui a pu causer l’accident. Colin a donc déménagé l’équipe et nous a laissés, moi et le seul gars avec qui je travaillais, Bernie. C’est à partir de là qu’une relation étroite s’est nouée entre lui et moi. »
Puis Blash arriva au domicile de Rindt... à une époque où les informations ne circulaient bien sûr pas aussi vite aujourd’hui, la nouvelle terrible devait être divulguée.
« Évidemment, j’étais encore sous le choc. Je me souviens juste d’être arrivé aux portes de la maison et d’être descendu en voiture. Nina (épouse de Jochen Rindt) se tenait sur le balcon et faisait des signes de la main. Je n’oublierai jamais ce qui m’a traversé l’esprit : elle devait penser que c’était Jochen qui revenait à la maison, vu la façon dont elle lui faisait signe. Lorsqu’elle a ouvert la porte, la femme de Piers Courage était là. Bien sûr, Piers avait été tué quatre ou cinq semaines plus tôt. Je suis maintenant assis et je bois une tasse de thé. Les deux femmes pleurent. Puis, du haut de l’escalier, la fille de Jochen, Natasha, est en train de crier "Papa, Papa, Papa". »
« J’ai 21 ans, j’ai travaillé avec un pilote qui vient d’être tué, et maintenant je suis avec sa femme et une autre dame dont le mari a perdu la vie. Lorsque je suis rentré chez moi, je me suis dit que je ne voulais plus être impliqué dans ce genre de choses. C’était une période très difficile et quand j’y repense, personne à Lotus ne vous a vraiment pris par la main et ne vous a aidé. Vous étiez vraiment livré à vous-même. »