Adrian Newey est sans doute l’ingénieur le plus connu et reconnu de l’histoire de la F1, et a fait triompher de nombreuses monoplaces en championnat du monde : hier chez Williams et McLaren, aujourd’hui chez Red Bull.
Quelle monoplace lui a donné le plus de satisfaction ? Avec laquelle de ses créations Newey a-t-il eu le sentiment de maîtriser à fond les arcanes, voire les failles, d’un règlement technique ?
L’ingénieur de Milton Keynes a répondu à cette question…
« La McLaren de 1998, parce que c’est l’année où nous sommes passés à des voitures plus étroites et à des pneus rainurés. C’était ma première McLaren. J’ai commencé le 1er août, c’était donc un cycle de conception incroyablement comprimé [comme pour la Red Bull de 2023, ndlr]. La plupart des voitures auxquelles j’ai participé et qui ont connu le plus de succès ont en fait démarré assez tard dans leur cycle de conception. »
« Je pense que nous avons réussi à mettre en place les bonnes bases. Comme la voiture était devenue beaucoup plus étroite, passant de 2 mètres à 1,8 mètre, il y avait beaucoup de théories qui circulaient… »
« Mais ce dont nous avions vraiment besoin, c’était d’essayer de maintenir la stabilité en entrée de virage, quand vous êtes encore sur les freins. C’est à ce moment-là que la voiture est déchargée à l’arrière et peut facilement devenir instable. Cela dépend du poids que l’avant extérieur et l’arrière intérieur de la voiture supportent dans ces conditions. Si nous avions rétréci la voiture, le seul moyen de conserver une répartition similaire au global serait d’allonger l’empattement. C’est exactement ce que nous avons fait. »
« C’était une caractéristique unique de la voiture de 1998. Malheureusement, Ross Brawn, chez Ferrari, l’a remarqué et a commencé à avancer l’essieu avant. Mais nous étions les premiers sur ce point et ce n’était pas la seule caractéristique. Nous avons réussi à rendre la voiture très légère, avec un centre de gravité très bas, pour essayer de minimiser le transfert de poids sur ces pneus très fragiles. »
Si Hakkinen a battu Coulthard et Schumacher, ce n’est pas un hasard…
Cette voiture construite, il fallait encore la faire triompher : c’est ce qu’a fait Mika Hakkinen... Mais qu’avait de spécial le Finlandais ?
« La grande force de Mika était, avant tout, sa confiance en soi et son assurance, et il ne semblait pas être affecté par la pression. Je reviens brièvement sur un exemple très important. L’année 1998 a été marquée par une très forte pression, tout comme l’année 1999 d’ailleurs, ces deux années, le championnat des pilotes s’est joué jusqu’à la dernière course. Je me souviens qu’à Suzuka [où le titre s’est joué], il y avait ces petites réunions sur les stratégies, et le samedi soir avant la course, avec Ron Dennis, moi-même, Mika, les autres ingénieurs de course clés. Cela devenait très compliqué : si Irvine rentre aux stands, on fait ça, si Schumacher fait ça, on fait ça, et bla bla bla. »
« Au bout d’une demi-heure, si ce n’est plus, Mika s’est assis tranquillement dans un coin, sans rien dire. Il s’est levé et est parti, et le lendemain matin, il est monté dans la voiture, a disparu au loin et a gagné la course. C’était la façon de faire de Mika. Il gardait les choses simples. »
« Il ne semblait pas ressentir la pression. Lorsque je suis arrivé chez McLaren, en particulier au sein de l’équipe d’ingénierie, Mika n’était pas très apprécié parce qu’il avait sa propre façon de communiquer en décrivant ce que faisait la voiture. Les gens ne prenaient pas vraiment le temps de l’écouter et de comprendre ce qu’il disait. Je pense que, grâce à mon expérience d’ingénieur de course, en particulier à l’époque de l’IndyCar, j’ai réussi à percer ce mystère et à comprendre ce qu’il disait. Une fois que vous avez compris son langage, il utilisait très peu de mots. Il se contentait de décrire très succinctement ce dont il avait besoin pour que la voiture aille plus vite, puis il repartait dans sa chambre d’hôtel ou autre. Il ne voulait pas de ces longs et pénibles debriefs. »
« Le pilote est absolument essentiel. Les données en elles-mêmes ne suffisent pas à tout expliquer, notamment parce qu’elles indiquent évidemment ce que fait la voiture, mais un bon pilote adaptera sa conduite aux limites de la voiture, quelles qu’elles soient. »
Pour autant, conclut Newey, Mika Hakkinen ne fut pas satisfait de prime abord de cette future McLaren championne du monde, l’accusant d’avoir trop de problèmes de sous-virage.
« Avec la voiture de 1998, lorsque nous avons commencé à rouler, il n’arrêtait pas de venir et de dire ’elle est sous-vireuse, elle est sous-vireuse’, et donc vous faisiez les choses que vous faites normalement pour le sous-virage. On augmentait l’angle de l’aileron avant, on assouplissait l’arceau de sécurité avant, etc. Il disait alors que le sous-virage était encore pire. Cela a fait partie du processus d’apprentissage pour nous deux. En fait, la voiture ne sous-virait pas, elle devait être instable, alors nous avons pris la direction opposée et soudain le sous-virage s’est amélioré, parce que c’était un pilote tellement naturel. »
« Il ne s’est même pas rendu compte qu’il le faisait lui-même. Je pense que c’est aussi une grande leçon pour lui, qui lui a permis de devenir plus conscient de ce qu’il faisait dans la voiture. »