En 2026, pour la prochaine génération d’unité de puissance, la F1 fera le grand saut vers l’utilisation de 100 % de carburants d’origine renouvelable : ce carburant aura le principal intérêt d’être réutilisable par les grands constructeurs sur leurs voitures de série, alors même que la possibilité d’utiliser des carburants d’origine de synthèse verts vient d’être adoptée par l’UE pour l’après 2035. Le timing de la F1 est donc très bon…
Pat Symonds, ancien ingénieur de Benetton, Renault F1 ou encore Williams, chapeaute les aspects réglementaires et techniques pour la F1 et a expliqué plus en détail le fonctionnement de ce nouveau carburant, que la F1 développe avec Aramco.
« L’hydrogène-carbone en est la base. C’est lui que nous utilisons pour synthétiser un carburant durable. L’origine de l’hydrogène est relativement évidente : il s’agit de l’électrolyse de l’eau. Il s’agit d’une méthode bien connue qui consiste à faire passer de l’électricité dans l’eau. »
« Tout le monde sait que l’eau est composée de H₂O. On sépare donc l’hydrogène et l’oxygène. Vous obtenez alors de l’hydrogène qui, si l’électricité provient de sources renouvelables, est en fait un hydrogène vert. Le carbone est beaucoup plus intéressant. »
Le travail mené par la F1 sera fort instructif pour les grands constructeurs (comme Audi que la réglementation 2026 a pu attirer), eux qui se demandent comment se conformer aux normes notamment européennes... Le CO2 est bien sûr au centre des préoccupations.
« Cela va commencer à contribuer à l’art et à la science de ce que nous pouvons faire. »
« La nature sait parfaitement extraire le CO₂ de l’air, séparer le carbone, l’utiliser pour faire pousser les plantes ou autres, et libérer l’oxygène. Nous devons donc synthétiser ce processus. Et nous pouvons le faire en utilisant des plantes, des algues, la capture directe de l’air, qui est une technologie très émergente. Il est assez difficile de la mettre en œuvre à grande échelle. »
« Il existe des usines de production qui extraient le carbone de l’air. Mais cela ne concerne qu’une une très, très petite quantité de carbone pour le moment. »
Il n’y a pas que cependant le carburant qui compte, loin de là : la logistique en F1 pollue bien plus que l’émission des voitures de courses elles-mêmes. C’est pourquoi, pour être appelé ’vert’, un carburant devra être écologique y compris du point de vue de sa logistique et de sa production...
« Si l’on considère l’empreinte carbone totale de la F1 en tant que sport, notre empreinte carbone s’élève à un peu plus d’un quart de million de tonnes. Et sur ce total, la quantité représentée par le fonctionnement de nos voitures sur la piste est de 0,7 %. C’est vraiment très peu. »
Le carburant pourrait être créé aussi à partir de sources alimentaires : mais en pleine période de flambées des prix, Symonds veille à éviter toute polémique pour le sport.
« Le carburant peut-il être créé à partir d’une combinaison de sources biologiques non alimentaires, de déchets municipaux, de capture du carbone ? En fait, tout moyen d’obtenir du carbone et de l’hydrogène qui n’entre pas en concurrence avec l’utilisation des terres agricoles - comme c’était le cas pour certains des carburants de la "première génération" - est approprié. »
« Notre petit slogan est le suivant : "Vous pouvez fabriquer ce carburant à partir d’épluchures de pommes de terre, mais pas à partir de pommes de terre". Il ne faut pas entrer en concurrence avec les sources de nourriture. Et les règlements ont été conçus avec beaucoup de soin pour que nous puissions vraiment promouvoir différentes méthodes de production de ces carburants. »
« Il s’agit d’une technologie très, très nouvelle et il existe de nombreuses façons différentes de produire les carburants - et personne ne sait encore exactement quelle est la meilleure méthode. Nous avons donc rédigé les règles avec le plus grand soin afin d’encourager la concurrence pour produire des carburants de différentes manières, tout en évitant de produire un carburant qui deviendrait un véritable fléau à produire pour celui qui s’en sortirait le mieux. »
Ce carburant de synthèse est tout de même critiqué car il faudra beaucoup d’énergie, en amont, pour produire un peu de carburant...
« Ce n’est pas une coïncidence si nous forons des trous dans le sol, extrayons le pétrole et le brûlons. L’humanité a l’habitude de trouver la meilleure façon et la moins chère de faire les choses. Et si l’on s’éloigne de cela, on s’éloigne probablement de la façon la moins chère de faire les choses. »
« Mais ce que nous pensions être la meilleure façon de faire, nous nous rendons compte aujourd’hui que ce n’était pas la meilleure façon de faire. Nous ne comprenions pas le réchauffement climatique à l’époque où nous avons commencé à utiliser beaucoup de pétrole comme source d’énergie. »
« Il existe un terme appelé EROI - retour sur investissement énergétique - qui est l’un des fondements de ce concept. »
« Il réduit l’échelle de temps, car lorsque nous parlons de capture biologique du carbone, il y a une échelle de temps à prendre en compte. Combien de temps faut-il à un arbre pour pousser, à une plante pour croître ou à une algue pour se développer ? Avec la capture directe du carbone par l’air, il s’agit d’un processus à très court terme. Il y a donc beaucoup d’avantages à cela, mais pour l’instant, l’évolutivité doit encore être prouvée. »
« Mais à condition que cette énergie soit renouvelable en soi, il faut passer à la première étape de la résolution du problème. Et comme tout ce qui concerne la réduction du carbone dans l’atmosphère, tout repose sur une abondance d’électricité renouvelable. C’est absolument fondamental pour notre avenir. »
Des F1 aussi véloces qu’aujourd’hui ?
Ce nouveau carburant sera-t-il tout de même aussi puissant que l’ancien, le ‘fossile’ ? Symonds l’assure.
« Nous obtenons autant d’énergie avec des carburants durables qu’avec de l’essence fossile standard. »
Autre conséquence de ce changement de carburant : au niveau réglementaire, la FIA surveillera la quantité maximale d’utilisation de carburant autorisée, selon des critères différents (le moteur actuel de la Formule 1 a une limite de débit de 100 kg/h.).
« Pour 2026, nous nous éloignons de la réglementation actuelle, qui étudie la masse de carburant utilisée dans le moteur par heure. À l’heure actuelle, le moteur peut recevoir 100 kilogrammes de carburant par heure. »
« À partir de 2026, le moteur pourra recevoir 3 000 mégajoules de carburant par heure, ce qui représente environ les trois quarts du contenu énergétique actuel. La raison en est bien sûr que nous augmentons l’hybridation et que les voitures sont beaucoup plus électriques. »