En 1978, Niki Lauda, après deux titres chez Ferrari, rejoignait Brabham. Il plaçait ainsi toute confiance dans Gordon Murray, qui officiait comme directeur technique, et dans le patron de l’équipe, un certain Bernie Ecclestone.
L’Autrichien déclara alors un peu imprudemment en substance : "nous verrons où j’en serai après deux ans, et nous verrons où sera Ferrari"…
Malheureusement, 1978 ne fut pas à la hauteur des attentes (4e place pour Lauda) ; et 1979 fut une véritable Bérézina. Lors des 13 premières courses, Lauda abandonna… 11 fois.
C’était décidé : il ne verrait pas la fin de la saison. En pleine année, lors des essais du Grand Prix du Canada, il décidait de jeter l’éponge. Afin d’aller fonder sa propre compagnie aérienne, Lauda Air.
Herbie Blash, aujourd’hui conseiller principal permanent de la direction de course à la FIA, travaillait alors pour Brabham aux côtés de Murray et d’Ecclestone. Pour le podcast "Beyond the Grid", il a livré ses souvenirs de ce fameux Grand Prix du Canada, où Lauda prit sa première retraite de la F1.
« Je pense que c’était après la première session d’essais libres. Charlie [Whiting] était en fait son chef mécanicien et il lui a donné une liste de choses à effectuer. Il m’a ensuite demandé de l’accompagner parce qu’à l’époque, nous étions basés à environ 400 mètres de l’endroit où se trouvaient les hangars à bateaux à Montréal, au fond du lac. »
« Nous avions un petit camping-car et il me demandait où se trouvait Bernie. Alors que nous descendions, il m’a dit : "Je ne remonterai pas dans la voiture, tu le sais, n’est-ce pas ?’ J’ai dit "quoi ?!" Il a répondu "non, j’en ai assez. Je vais aller acheter cet avion". »
Et tout cela s’est passé presque comme une blague au début, raconte Blash !
« Avant de retourner au camping-car avec Bernie, nous sommes allés à l’usine McDonnell Douglas. J’y suis allé avec Niki et nous avons réussi à le faire entrer dans un simulateur. Nous avons rencontré quelqu’un qui était allé sur la lune et, en revenant, Niki m’a dit : "Je vais acheter un de ces trucs". C’était pour rire et pour faire une blague. »
« Puis, lorsque nous sommes descendus, il m’a dit : "Je vais acheter un avion" et, inutile de le dire, c’est exactement ce qu’il a fait. C’était le début de Lauda Air. Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés au QG de l’équipe, et il a dit à Bernie que c’était fini. »
Devant le fait accompli, Bernie Ecclestone s’est-il agacé, s’est-il déchaîné sur Lauda qui le quittait brusquement ?
« Non, je ne crois pas. Mais Bernie est aussi tellement cool qu’on ne le dirait jamais. La conversation n’a pas été très longue, mais je me souviens que Bernie m’a dit : "Laisse ta combi et ton casque ici parce que je dois trouver quelqu’un pour conduire la voiture". Et il y avait Ricardo Zunino. Et voilà, c’était un pilote de Formule 1 et Niki est littéralement parti. Personne ne savait ce qui se passait. Niki s’est changé et a disparu. »
Si Lauda raccrocha les gants, il revint finalement avec McLaren : un retour cette fois gagnant, avec un dernier titre de champion à la clef (voir notre article).
Blash fut-il surpris par le retour en F1 de son ancien pilote ?
« J’ai été déçu parce que j’aurais aimé qu’il revienne avec nous, et surtout que ce soit notre autre pilote, son ex-coéquipier John Watson, qui l’accompagne. J’étais très proche de John et très, très proche de Niki. Surtout lorsqu’ils gagnaient des courses, cela faisait vraiment mal parce que nous traversions nous-mêmes une période un peu difficile. »
Lauda, le pilote le plus complet ?
Blash a travaillé avec de grands pilotes au cours de sa carrière, comme par exemple Jochen Rindt, le compatriote de Lauda. Mais où Lauda se situerait-il dans le panthéon des meilleurs pilotes de la F1 ?
« Il était peut-être le plus intelligent. John Watson était un pilote rapide et lorsqu’il pilotait aux côtés de Niki, il était souvent plus rapide. C’est très difficile à dire mais, dans l’ensemble, comme pilote complet, Niki était peut-être le meilleur des pilotes avec lesquels j’ai travaillé. »
Carlos Reutemann, avec qui Blash avait aussi travaillé, était-il loin derrière Lauda ?
« Carlos était un homme charmant, mais malheureusement il n’était pas constant. Il avait des hauts et des bas et dès qu’il y avait un problème ou un accroc, il était à terre. Il a malheureusement abandonné le championnat du monde, lorsqu’il était chez Williams, à Las Vegas en 1981, qu’il nous a donné. Il aurait dû le gagner. »
« Nous l’aimions tous beaucoup. Je suis toujours en contact avec lui. Je crois que la dernière fois que nous l’avons vu, c’était il y a quatre ou cinq ans au Brésil. Il n’aimait pas les feux de la rampe et se tenait à l’écart, mais c’était un homme très sympathique. Je ne mettrais pas Carlos avec Nelson Piquet, John Watson ou Niki Lauda. Je ne le mettrais pas dans ce groupe. »