S’agissant de la règle devenue essentielle en F1 des budgets plafonnés, Sauber et donc Audi pâtissent d’un désavantage structurel : en effet les salaires en Suisse sont largement plus importants que ceux au Royaume-Uni. De même sur la base allemande d’Audi, les salaires sont également plus élevés qu’en Italie par exemple.
Si bien que pour un même budget, Sauber/Audi peut payer moins d’employés. Presque 25 ou 30 % de moins. Comme s’il s’agissait de se battre avec une main liée dans le dos…
Cependant, il y aura deux bonnes nouvelles pour Sauber/Audi prochainement. Tout d’abord, le plafond budgétaire va augmenter pour toutes les équipes en 2026, passant de 135 à 215 millions de dollars, sans compter les réductions et exceptions, de plus en plus nombreuses.
Mais surtout, la FIA tiendra bien davantage compte des salaires dans chaque pays, pour qu’il n’y ait pas de grande distorsion de concurrence (voir notre article).
Le « facteur de considération » désormais considéré dans les règlements financiers de la FIA sera calculé comme le salaire annuel moyen d’une équipe de F1, divisé par le salaire annuel moyen pondéré du pays où elle est basée, selon des données économiques indépendantes.
De fait, Sauber/Audi pourrait bénéficier d’un budget de 250 millions de dollars environ, contre 215 pour les autres équipes.
Mattia Binotto l’avait d’ailleurs précisé : sans cet ajustement, il sera impossible à Audi d’être compétitive à son entrée en 2026.
Le changement a été convenu plus tôt cette année… malgré l’opposition unanime de toutes les équipes de F1, sauf Audi bien sûr !
« Pourquoi une équipe basée en Suisse aurait-elle une exemption ? Chacun choisit où installer son équipe », a ainsi vitupéré Ayao Komatsu, le patron de Haas F1 (dont l’équipe est elle-même basée entre Royaume-Uni, Italie et USA).
« Entre Londres et Oxford et le nord de l’Angleterre, il y a une différence de prix. Où s’arrête-t-on ? Où trace-t-on la ligne ? Si vous regardez ces aspects, vous devez examiner tous les avantages. »
« De plus, pour les gens qui vivent en Suisse, la raison peut être différente. Je me souviens qu’il y a longtemps, j’ai essayé de recruter quelqu’un de Sauber qui adorait skier et aimait les montagnes, alors il ne voulait pas venir en Angleterre.
« Beaucoup de choses entrent en ligne de compte. Je pense que c’est très dangereux de regarder un seul aspect et de dire : "OK, c’est plus cher ici". Vous pourriez simplement regarder le prix de la bière ou quelque chose comme ça et dire : "OK, c’est plus cher, donc vous devriez obtenir l’exemption".
« Vous êtes libre de vous installer où vous voulez. »
« Plus vous allez dans le détail, plus il est difficile de tout couvrir, et cela crée un autre problème. »
« Je ne sais pas si ‘intéressant’ est le bon mot, mais dans la réunion de la Commission de la F1, à part Sauber, étrangement, tout le monde est contre ».
Pour Ayao Komatsu, la FIA risquerait d’ouvrir une boîte de pandore et de devoir procéder à une tonne de contrôles ultra-complexes, si cette logique devait être poussée jusqu’au bout.
« Alors, je ne comprends pas pourquoi la FIA pousse complètement pour cela. Encore une fois, il faut se demander : et les gars en Italie, comme Ferrari et Red Bull, qui ont des installations en Italie, et nous avons aussi des installations moitié italiennes, moitié britanniques… où s’arrête-t-on ?
« Un ingénieur passant du Royaume-Uni à l’Italie bénéficie de certains avantages financiers importants en Italie. Est-ce que cela est compensé ? Bien sûr que non. Alors où s’arrête-t-on ?
« À moins de regarder chaque dimension, il est très difficile de rendre cela complètement équitable. Pouvez-vous examiner chaque dimension ? Je ne pense pas.
« Donc, je pense que c’est très dangereux de faire cela, honnêtement. »
Enfin, lorsqu’on on lui demande pourquoi cette mesure était adoptée alors que 90 % des équipes s’y opposaient, Komatsu a fait preuve d’amertume.
« Vous l’avez dit, non ? »
La FIA répond aux 9 autres équipes
Bien sûr Ayao Komatsu fait preuve d’un peu de mauvaise foi : il va de soi qu’aucune équipe n’aime renforcer ses concurrents. Et Sauber est justement un concurrent direct de Haas F1.
La FIA est quant à elle elle chargée de mettre de l’équité dans le sport, comme le rappelait plus tôt cette année Nikolas Tombazis, directeur des monoplaces de la FIA.
« Eh bien, tout d’abord, je dirai que dans une démocratie où il y a neuf loups et un mouton, je pense que vous pouvez deviner qui sera mangé par les loups. »
« Donc, même si nous voulons bien sûr du consensus, de la démocratie et de la participation, il est de notre responsabilité d’essayer d’être équitables, et nous aurons des opportunités tous les cinq ou six ans environ pour faire des ajustements visant l’équité, là où, peut-être dans le cadre de la concurrence en F1, il est difficile d’obtenir les niveaux de majorité nécessaires parmi les équipes pour soutenir un changement. »
« Il est devenu évident pour nous que les salaires dans certains pays sont beaucoup plus élevés et que le coût de la vie est beaucoup plus élevé dans certains pays. Je le vois moi-même, je vis à Genève. Quand je vais au supermarché, j’y pense. »
« Nous avons estimé que pour un plafond budgétaire à peu près égal, une équipe basée dans un pays au coût de vie élevé comme la Suisse aurait environ 30 % ou même 40 % de personnel en moins travaillant sur la voiture, ce que nous avons trouvé fondamentalement injuste. »
« Nous avons donc décidé, soit de prendre des mesures réglementaires, soit cela signifierait finalement que les équipes ne pourraient pas opérer et qu’une équipe comme Sauber devrait fermer et déménager dans un autre pays, ce qui, selon nous, n’est pas la bonne façon pour un championnat du monde de fonctionner. »
Face aux accusations de partialité qui pourraient être portées par exemple par Ayao Komatsu, Tombazis précise que la FIA se basera sur des données indépendantes et qui font consensus dans la communauté économique.
« C’est pourquoi il y a un ajustement dans les règlements financiers pour 2026, qui ajustera essentiellement les salaires pris en compte dans le plafond budgétaire, selon des facteurs déterminés par les données de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] – ce ne sont pas des données de la FIA, pour être clair ; ce sont des données accessibles au public. »
« Maintenant, je peux ajouter que, comme nous avons déjà des règlements financiers en place et que nous recevons des données des équipes, nous savons que ces données de l’OCDE sont très cohérentes avec les différences salariales qui existent même dans le contexte de la F1 et parmi les ingénieurs et équipes. »
« Donc, ce ne sont pas seulement les données de l’OCDE. Nous avons des preuves irréfutables basées sur ce que les équipes paient à leurs aérodynamiciens, leurs concepteurs ou leurs ouvriers d’atelier, et tout cela pointe dans la même direction. »
« Par conséquent, je pense que ce règlement est complètement équitable. Je dirai également que nous prévoyons de l’améliorer encore un peu ; nous prévoyons de le rendre un peu plus transparent également, afin que les équipes qui pourraient s’inquiéter que quelque chose d’injuste se produise soient convaincues. »
« Je pense que si vous regardiez les données, je ne pense pas que quiconque douterait de l’équité de ce règlement. »
En tout état de cause, il s’agit bien d’une mesure de justice qui est portée par la FIA. Il n’est pas surprenant que les ’9 loups’ veuillent manger la brebis Audi, mais la FIA est ici dans son rôle de berger - un rôle qu’elle remplit, une fois n’est pas coutume, de manière satisfaisante.