Dans un long article émouvant pour The Players’ Tribune et dédié à Anthoine Hubert, son ami d’enfance, Pierre Gasly évoque le déroulement de la saison 2019. En l’espace de quelques jours, l’actuel pilote AlphaTauri aura perdu son ami le plus cher à Spa, mais aussi, sur un tout autre plan bien sûr, son baquet Red Bull – en étant remplacé par Alexander Albon.
2019 fut ainsi une année compliquée. Pierre Gasly a longtemps sous-entendu n’avoir jamais eu les mêmes armes que Max Verstappen pour réussir sa première saison dans l’équipe de Milton Keynes. Dans cet article, il promet alors « la vérité ».
Sans aller jusqu’à des accusations franches contre Christian Horner ou Helmut Marko, le Français franchit une petite nouvelle étape dans ses commentaires sur la saison 2019.
Tout alla de travers dès les essais de Barcelone, l’hiver – Pierre Gasly partit à la faute et détruisit sa monoplace. Il n’en fallut pas plus au Docteur Marko pour se plaindre du Français qui avait fait perdre du temps à son équipe.
Mais dans sa tribune, Pierre Gasly pointe aussi du doigt les commentaires des médias, et toute l’ambiance négative qui a infesté sa carrière chez Red Bull…
« Je réalisais un rêve [en signant chez Red Bull], et j’étais tellement excité. »
« À partir du moment où j’ai fait ma première erreur dans la voiture, j’ai eu l’impression que les gens ont commencé à se retourner contre moi. J’ai eu un accident lors des essais hivernaux, et à partir de ce moment-là, la saison n’a jamais vraiment démarré. Puis j’ai eu deux premières courses difficiles avec Red Bull et les médias m’ont dévoré. Tout ce que je disais dans la presse était transformé en une excuse pour mes performances, et personne ne m’a vraiment défendu. »
« La voiture n’était pas parfaite, et je faisais de mon mieux pour essayer de m’améliorer et d’apprendre chaque semaine, mais comme ... voici ce que je vais dire à ce sujet : c’était une période difficile pour moi chez Red Bull parce que je n’avais pas l’impression d’être vraiment soutenu et traité de la même manière que les autres. Et pour moi ... c’est quelque chose que je ne peux tout simplement pas accepter. Je travaillais comme un fou tous les jours, en essayant d’obtenir des résultats pour l’équipe, mais on ne me donnait pas tous les outils dont j’avais besoin pour réussir. J’essayais de proposer des solutions, mais ma voix n’était pas entendue, ou il fallait des semaines pour voir des changements. »
« Pour une raison ou une autre, je n’allais jamais être à ma place dans ce baquet - ça ne marcherait tout simplement pas. »
Pierre Gasly ne nomme personne, mais on sent que Christian Horner et Helmut Marko ne devraient pas être les derniers à se sentir visés...
Pourquoi Pierre Gasly n’a-t-il alors pas fait de grand déballage dans les médias, ni hier ni aujourd’hui - ou en tout cas de manière encore très incomplète... ?
« Je ne suis pas le genre de personne à déballer des trucs dans les médias, parce que je suis vraiment reconnaissant à Red Bull pour cette chance, ainsi que pour tout ce qu’ils ont fait pour moi dans ma carrière. Je le suis vraiment. Mais j’ai le droit de dire ma vérité. »
« Donc, c’est tout. C’est la vérité. »
C’est lors du Grand Prix de Belgique, quelques jours avant, que Pierre Gasly apprit qu’il serait rétrogradé de Red Bull à Toro Rosso...
« Après Budapest, je suis parti en vacances. Mais avant de partir, j’ai appelé notre directeur d’équipe, Christian Horner, juste pour lui demander ce que je pouvais faire de plus les week-ends de course pour m’améliorer, et pour voir s’il pouvait regarder de plus près mon côté du garage pour voir ce qui pouvait être fait. Christian a dit qu’il ferait tout ce qu’il pourrait. Et c’était tout. ».
« Je voulais m’améliorer. Je voulais que ça marche. »
« Mais Helmut Marko m’a appelé alors que j’étais en vacances en Espagne et m’a dit : "Nous allons te renvoyer chez Toro Rosso pour remplacer Alex Albon. Cela ne signifie pas que c’est la fin de l’histoire avec nous. Mais avec tout le bruit dans les médias, nous pensons que c’est le mieux. C’est comme ça que ça se passe. C’est la F1". »
« J’étais triste. Je ne peux pas mentir. J’étais brisé à cause de ça. Je veux être champion du monde. Qui sait quand je serai à nouveau dans une voiture aussi bonne ? C’est vraiment, vraiment difficile de faire un pas en arrière dans ce sport. »
Et puis ce même week-end maudit de Spa, pour sa première course en 2019 avec Toro Rosso, Pierre Gasly perdait aussi Anthoine Hubert, victime d’un accident terrible au Raidillon. Ce fut alors le pire des cauchemars qui prenait forme.
« Lorsque la nouvelle [du retour chez Toro Rosso] est tombée quelques jours plus tard, j’ai reçu un texto d’Anthoine. Il disait : "Prouve-leur qu’ils ont tort. Sois fort, mon frère. Tu vas leur montrer que tu mérites ta place dans une équipe de haut niveau et leur prouver qu’ils ont tort." »
« Et ma tristesse s’est transformée en motivation - elle s’est transformée en passion. »
« Je savais qu’il restait neuf courses sur le calendrier. »
« Neuf courses pour leur montrer qu’ils avaient fait une erreur. »
« Neuf courses pour leur prouver qu’ils avaient tort. »
« À Spa en 2019 avec Toro Rosso, j’ai eu l’impression que pour la première fois de ma vie, je commençais vraiment un nouveau chapitre. J’avais toujours pensé que je continuerais sur ma trajectoire ascendante et que je finirais par devenir champion du monde. Mais être replacé au milieu du peloton chez Toro Rosso - j’avais l’impression d’évoluer hors de l’ancien Pierre. Je devais trouver une nouvelle version de moi, plus mature, si je voulais prouver quelque chose à tout le monde dans ce sport. »
« Mais samedi est arrivé, et mon monde a été bouleversé. J’ai perdu mon ami, mon frère. »
« Dès que notre débriefing des qualifications de samedi s’est terminé, j’ai couru voir mes parents et ma petite amie, car je savais qu’ils auraient plus d’informations. Je me souviens qu’en descendant les escaliers, je les ai vus en train de sangloter. Je pouvais voir qu’ils étaient brisés. Et j’ai compris ce que cela signifiait. Je savais que mon ami était parti. »
« J’étais complètement brisé. J’ai pleuré jusqu’à ce que je ne puisse plus pleurer. Je n’ai jamais éprouvé un sentiment pire que ça dans ma vie. Jamais. »