Mike Elliott, le directeur technique de Mercedes F1, est revenu sur la saison 2022 qui s’est terminée en novembre par une seule victoire pour l’équipe qui avait remporté huit championnats constructeurs consécutifs jusque-là.
Tout semble partir d’un mauvais choix de concept après les essais hivernaux, avec une W13 aux pontons réduits au maximum. Mais les choses sont bien plus complexes que ça selon lui, comme il le confie à AMuS.
"Nous avons été surpris que personne d’autre n’ait trouvé ce concept. Une fois que vous avez emprunté cette voie, il est très difficile de copier quoi que ce soit d’autre," admet-il pour commencer.
Mais est-ce la raison des problèmes ? Elliott reconnait que "nous n’avons qu’une vision partielle des choses."
"Nous ne voyons que ce que fait notre voiture. Il est difficile de juger de la réaction des autres concepts. Nous avons essayé de comprendre les enjeux et d’être en mesure de prédire la variation des performances d’une piste à l’autre. Cela n’a rien à voir avec la forme des pontons, mais plutôt avec la façon dont nous avons conçu la voiture et les objectifs que nous nous sommes fixés."
Il y avait toutefois un problème clair avec ce concept : "avec beaucoup d’exposition à l’air au dessus du plancher, la préoccupation était de le rendre suffisamment rigide et ne pas trop le voir fléchir à grande vitesse. Mais nous avons maintenant résolu cela."
Le marsouinage fut un autre grand problème mais pas lié à ce concept selon Elliott.
"Plus tôt dans la saison, nous avions affaire à des rebonds générés aérodynamiquement comme tout le monde. Cela masquait les vrais problèmes de la voiture. Avec notre évolution de Barcelone, nous nous sommes débarrassés de la plupart des rebonds aérodynamiques. Le rebond qui était toujours là à la fin a été causé par des bosses. C’est inhérent à ces voitures très rigides."
"Au début, nous ne pouvions pas expliquer pourquoi cela avait toujours l’air différent d’une piste à l’autre. Plus tard, nos prédictions sont devenues plus précises. Nos simulations nous ont donné une indication assez précise d’une piste qui sera bonne ou mauvaise pour nous. Nous avons maintenant une bonne théorie sur ce que nous devons faire pour nous assurer que cela ne nous arrivera plus la saison prochaine. Cela nous a donné confiance pour l’hiver. Mais malheureusement en Formule 1 on ne sait jamais tout."
En soufflerie, le concept Mercedes F1 était potentiellement le plus rapide selon plusieurs directeurs techniques mais cela n’a pas été confirmé sur la piste.
"La soufflerie nous a donné les bonnes réponses sur où trouver les temps au tour. Ce que nous n’avons pas compris, c’est comment nous utilisons l’appui et comment cela fonctionne avec le reste de la voiture."
Le rebond a-t-il surpris Elliott ?
"Nous savions que les voitures à effet de sol du passé avaient ce phénomène et nous en avons également parlé au stade de la conception. Nous ne nous attendions pas à ce qu’il n’y ait aucun problème, mais aucune des simulations n’a donné d’indication sur la gravité du problème. Je pense que tout le monde a vécu cette expérience. Il est très difficile de reproduire le problème en soufflerie et il serait très coûteux de le modéliser en simulation. C’est pourquoi nous n’avons pas utilisé les ressources autorisées par la réglementation en CFD pour simuler le rebond."
"Pour le résoudre, il a fallu d’une part des expérimentations et un travail mental classique, d’autre part le développement de nouveaux outils. On parle toujours de corrélation entre soufflerie et réalité. La soufflerie et le CFD ne seront jamais qu’une approximation de la réalité. L’art de l’ingénieur est de comparer cette approximation avec les données de la piste et d’en tirer les bonnes conclusions. Cela a toujours été ainsi. Lorsque nous avons remarqué le rebond, il était clair que nous avions besoin d’une solution. Nous avons donc développé des outils pour nous aider à le faire."
Ce qui est certain c’est que ces problèmes ont coûté énormément de temps de développement à Mercedes...
"Normalement, vous identifiez les problèmes de votre voiture lors des essais hivernaux et essayez de les résoudre dès la première course. Cette fois c’était different. Red Bull a probablement été la plus rapide à résoudre le problème. Ils ont trouvé une solution à la fin des essais hivernaux. D’autres pensaient qu’ils l’avaient résolu, puis il est revenu. Dans notre cas, il était si dominant que nous ne pouvions pas prêter attention à d’autres zones de la voiture."
"Normalement, vous essayez non seulement de trouver de l’appui, mais aussi de donner à votre voiture une caractéristique dans les virages afin que les pilotes puissent l’équilibrer comme ils le souhaitent. Ce travail est généralement effectué lors des essais d’hiver. Là, vous travaillez sur les réglages. Nous avons dû reporter cela. Et une fois que nous avons résolu le rebond, nous avons soudainement découvert qu’il y avait d’autres problèmes que nous devions résoudre."
Et quels étaient ces autres problèmes ?
"Si je les révèle maintenant, alors la concurrence connaîtrait trop bien les solutions que nous avons trouvées. La réponse la plus simple est la suivante : la voiture que nous avons donnée à nos pilotes n’est pas la voiture que nous voulions. Les pilotes ont tout de suite signalé qu’elle était difficile à conduire. Et nous savons maintenant pourquoi."
Il y avait aussi du surpoids sur la W13...
"Pour être honnête avec nous-mêmes, nous n’avons pas livré la F1 que nous voulions à notre équipe de course. Mais le poids n’était pas notre plus gros problème. Tout le monde sait combien de temps au tour vous pouvez trouver lorsque votre voiture devient plus légère. Nous pouvons toujours régler ce problème, ce sera fait cet hiver. Il était beaucoup plus important de comprendre les autres problèmes. Si nous ne le faisions pas, nous vivrions la même chose la saison prochaine."
Les équipes de F1 sont maintenant limitées par le plafond budgétaire. A-t-il joué un rôle dans le délai de résolution des problèmes ?
"Le plafond des coûts est toujours un problème lorsque vous avez le temps de vous rattraper. Nous n’avons qu’un nombre limité d’ingénieurs. Lors du développement d’un véhicule, vous devez réfléchir attentivement à la manière d’utiliser ces ressources de la manière la plus judicieuse. Vous ne pouvez plus tout faire. Si nous avions mis un grand groupe d’ingénieurs sur le rebond, d’autres travaux auraient été laissés en suspens. Sans plafond budgétaire, nous aurions pu couvrir plus de problèmes en même temps, c’est un fait. Donc la réponse est un grand oui !"
Place à la voiture 2023 donc dans un mois...
"Le châssis et les principales pièces de la voiture sont sortis à la mi-octobre. La carrosserie est définie beaucoup plus tard. Le diable est dans les détails. Nous construisons l’aérodynamisme autour du cadre brut de la voiture."
"Nos objectifs seront différents de 2022. Certains des problèmes découlaient des objectifs aérodynamiques que nous nous étions fixés. Nous avons déjà apporté des modifications et il y en aura d’autres. Nous espérons que cela suffira pour être à nouveau devant en 2023."