C’est au micro du podcast "Beyond the Grid" qu’Adrian Newey, le plus célèbre directeur technique de la F1, est revenu sur une année dramatique pour lui comme pour le sport : 1994.
Membre éminent de l’équipe technique de Williams dans la première moitié des années 90, Newey devait cependant gérer, en 1994, un changement de taille. Les suspensions actives, à l’origine des succès des années précédentes, avaient été bannies.
Le retour aux suspensions passives fut douloureux pour Williams, et fut mal géré par l’équipe.
En résulta une voiture instable et difficile à conduire : celle dont hérita Ayrton Senna, nouveau venu dans l’écurie, et qui se tua à Imola le 1er mai 1994.
« La voiture de 1994, c’est l’un de mes grands regrets – sans lien avec l’accident d’Imola. »
« La seule chose que l’on puisse dire à propos de la voiture, c’est qu’elle était aérodynamiquement instable » confie ainsi Newey à la FOM, sans faire donc directement un lien de causalité entre l’accident de Tamburello et l’instabilité de la Williams F1.
« Nous avions passé deux ans avec la suspension active et, c’est ma faute, j’ai complètement raté l’aérodynamique de la voiture de 1994, en revenant à la suspension passive et à une hauteur de caisse beaucoup trop importante. »
« C’était une voiture très, très difficile à conduire et plus le circuit était bosselé, pire c’était. Et bien sûr, Imola était un circuit assez bosselé, donc ce qu’il a fait avec cette voiture était assez extraordinaire, et il pouvait le faire en qualifications. »
« Au Brésil, il a réussi à la faire fonctionner, mais il est parti en tête-à-queue dans le dernier virage, vers la fin de la course, en extrayant cette performance de la voiture. »
« Damon [Hill] n’a pas essayé d’extraire ce niveau de performance de la voiture, et il a donc terminé la course, mais il savait que cette F1 était instable. »
« Senna essayait toujours de trouver de la confiance et de contrôler sa voiture. Sa maîtrise de la voiture et sa concentration étaient tout à fait extraordinaires. »
À la suite de la mort de Senna, Newey, comme l’ensemble de l’équipe Williams, était dans un tel choc qu’il dit même avoir pensé à quitter la F1.
« J’y ai pensé, je dois dire que vous seriez un imbécile ou qu’il y aurait quelque chose qui ne va pas si vous ne vous remettez pas en question et si vous ne remettez pas en question ce que vous faites. »
« Tout d’abord, cela aurait été très égoïste parce que si Patrick [Head, directeur de l’ingénierie de Williams], moi ou nous deux avions décidé d’arrêter, nous aurions laissé l’équipe dans le désarroi le plus complet. »
« Comme pour toutes les erreurs, quelle que soit la cause de l’accident, vous devez tirer les leçons de ce qui a pu causer l’accident et vous assurer que vous réagissiez – pour prendre les mesures appropriées afin que cela ne se reproduise plus jamais. »
Senna, un être à part
Quant à sa relation, aussi brève qu’intense, avec Ayrton Senna, Newey a confié également une anecdote qui en dit long sur l’implication et le professionnalisme du Brésilien. C’était à la fin de l’année 1993...
« On a eu bien sûr une relation très courte, malheureusement. »
« Je suppose que j’ai progressé avec les années mais… lorsque vous avez quelqu’un comme Ayrton dans votre équipe, quelqu’un contre qui vous vous battez année après année, alors vous êtes en quelque sorte - sans le diaboliser – mais… il est en quelque sorte l’ennemi. »
« Je l’ai donc rencontré occasionnellement, mais je ne lui ai jamais vraiment parlé jusqu’à ce qu’il vienne pour la première fois à l’usine à la fin de ce qui devait être 1993. »
« On me l’a présenté et j’ai tout de suite demandé si je pouvais voir la maquette de la voiture en soufflerie. Nous avons donc fait le tour de la soufflerie. Là encore, il s’est mis à genoux, regardant sous la voiture, voulant expliquer ce que nous avions fait différemment, ce qui était différent dans cette voiture par rapport à la voiture de l’année précédente, pourquoi nous avions fait cela, etc. Il était d’une curiosité phénoménale. »
« On pourrait dire qu’il n’avait pas besoin de savoir tout cela. Mais il voulait simplement obtenir toutes les informations possibles, parce qu’elles pourraient lui être utiles à l’avenir ».
« Je pense que c’est probablement ce que je trouve le plus unique chez lui, plus que chez n’importe quel autre pilote avec lequel j’ai été impliqué. »