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Pas de pénalité pour Verstappen : injustice, ou illustration d’une nouvelle doctrine plus permissive ?

La FIA avait bien annoncé une approche plus libérale cette année

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Que ce soit au Canada ou en Autriche, la lutte pour la victoire a donné lieu à une bataille virile en piste, suivie d’une controverse. A Montréal, Sebastian Vettel, qui occupait la tête de course, a été pénalisé de cinq secondes par les commissaires de course, pour avoir rejoint de manière peu sûre la piste, après avoir coupé une chicane en passant dans l’herbe, gênant Lewis Hamilton ; au Red Bull Ring, Max Verstappen a dépassé Charles Leclerc, en le forçant semble-t-il à quitter les limites de la piste pour éviter l’accrochage – les commissaires ont finalement blanchi le pilote Red Bull.

Certains observateurs, qu’ils soient du reste fans de Ferrari ou non, n’ont pas manqué de souligner une prétendue inconstance de la FIA dans ces décisions : pourquoi avoir sanctionné Sebastian Vettel non Max Verstappen ? Existe-t-il un « deux poids – deux mesures » en défaveur de la Scuderia ?

Trois motifs peuvent expliquer, et pleinement justifier, la clémence dont ont fait preuve les commissaires envers Max Verstappen.

La première raison est peut-être la moins facilement avouable. Les commissaires, au Red Bull Ring, se sont sûrement rappelés de la polémique née après le Grand Prix du Canada : de nombreux observateurs ont regretté que le pilote ayant franchi la ligne d’arrivée en tête (Sebastian Vettel) ne soit pas le vainqueur final officiel, ce qui nuirait à la lisibilité du sport pour le grand public ainsi qu’à son image ; de plus, les jours après la course furent émaillés d’une polémique et d’une attente insoutenables, Ferrari ayant décidé de faire appel de la décision. La FIA a peut-être voulu s’éviter un nouveau feuilleton… et, cette fois-ci, bel et bien couronner celui qui avait, le premier, vu le drapeau à damiers. D’autre part, le Red Bull Ring était rempli de fans néerlandais – l’on pouvait parler davantage d’un Grand Prix des Pays-Bas que d’un Grand Prix d’Autriche. Inconsciemment, cette ferveur, cette pression du public, ont-elles pu jouer un rôle ? La FIA n’a-t-elle pas voulu nuire, potentiellement, à l’image du sport, étant donné que de nombreux fans néerlandais n’auraient pas manqué de siffler la cérémonie du podium ? Peut-être…

La deuxième raison est bien moins psychologique et tient, tout simplement, à la différence de nature entre les deux incidents. Le premier incident, celui impliquant Sebastian Vettel au Canada, n’est pas une véritable manœuvre de dépassement : c’est le pilote Ferrari qui est parti à la faute, souffrant de sous-virage, dans l’herbe, et c’est cette bévue qui l’a forcé à rejoindre la piste de manière précipitée, pour éviter un crash… La manœuvre de Max Verstappen sur Charles Leclerc, au Red Bull Ring, était bien, de son côté, une manœuvre de dépassement plus classique. C’est ainsi que Michael Masi, le directeur de course de la FIA, a estimé qu’en comparant ces deux incidents, on comparait « des pommes à des oranges » – un message directement adressé à Mattia Binotto.

Le troisième motif a été moins souligné, et pourtant là réside peut-être la clef d’explication de ces incidents. Il importe de rappeler que, depuis 2018, la FIA avait décidé d’adopter une approche plus permissive envers les pilotes, afin de favoriser les batailles plus viriles roue-contre-roue (« let them race. ») Tout récemment, et à la suite de la polémique née au Red Bull Ring, Michael Masi, le directeur de course et successeur de Charlie Whiting, l’a souligné : « La philosophie du ‘laissez-les courir’ a été relancée il y a deux années, avant ma prise de fonctions. Nous essayons vraiment de faire de notre mieux pour éviter que des incidents un peu bêtes ou secondaires, qui auraient peut-être, il y a deux ou trois ans, été pénalisés, ne le soient plus aujourd’hui, ou nous faisons en sorte qu’ils aient moins de conséquences. »

Romain Grosjean, pilote Haas mais aussi président du GPDA, rappelait le sens de cette nouvelle approche en avril dernier – après une rencontre entre avec le commissaire Garry Connelly et Michael Masi : « C’était bien de la part de Garry et Michael d’écouter ce que nous avions à dire. Le fait est que nous ne voulons pas arriver sur une zone de freinage en dépassant quelqu’un et en se disant que si l’on bloque une roue, on va être pénalisés. Parce que dans ces cas-là, la prochaine fois, vous vous direz ’je ne veux pas tenter ce dépassement’. Nous voulons courir. Des accidents arrivent sur 21 courses. C’est bien que nous puissions courir et nous battre. »

Romain Grosjean estimait que les pénalités de la FIA demeuraient légitimes en cas de changement de ligne au freinage, le principal motif d’inquiétude des pilotes, dont le pilote Haas est le représentant. « Nous ne voulons pas de la Formule E, car je pense qu’elle est allée trop loin. Mais si vous faites une ’Grosjean à Spa 2012’, ou une ’[Nico] Hülkenberg à Spa l’an dernier’, ce n’est pas intentionnel mais ça a de lourdes conséquences, donc ça doit être pénalisé. Comme ce qu’a fait [Sergio] Pérez à Singapour [2018]. Mais si vous freinez juste un peu tard au premier tour, c’est un incident de course. C’est le premier tour, tout le monde veut une position. »

En somme, lors du Grand Prix d’Autriche, la FIA aurait appliqué cette nouvelle approche, décidée en début d’année et non au 69e tour de la course. Il n’y aurait pas eu de traitement préférentiel pour Max Verstappen, pas de jurisprudence Leclerc, mais tout simplement l’application d’une stratégie plus libérale, au nom du spectacle.

Pour autant, comment expliquer que cette nouvelle approche ne soit pas suffisamment entrée dans les mœurs, au point d’avoir été passée sous silence, dans la plupart des commentaires d’après-course, dimanche dernier ? La faute en incombe peut-être… à l’inconstance des commissaires de la FIA dans leurs décisions. Kimi Räikkönen résumait bien le sentiment général, en juin dernier, après le Grand Prix du Canada : la FIA ne tiendrait pas ses promesses de plus grande tolérance. « C’est ce qu’on nous a dit, qu’on aurait plus de liberté. Mais si vous regardez quelques détails et ce n’est définitivement pas le cas. La liberté c’est une bonne idée, oui, mais évidemment quand vous commencez à pousser quelqu’un dehors ou que vous faites quelque chose de stupide, en tant que pilote nous savons, ou devrions savoir, ce qui est juste et acceptable. Tant que c’est une bataille correcte, je suis d’accord. » La double pénalité de Daniel Ricciardo au Paul Ricard en est peut-être un symbole.

En réalité, un recul dans le temps apporte un éclairage très instructif. Il apparaît que « l’approche plus permissive » de la FIA est une arlésienne de la F1 ! Déjà, en 2014, feu Charlie Whiting, l’ancien directeur de course, avait entamé une réforme de l’article 16.1 du règlement sportif de la F1, selon lequel tout incident entre deux pilotes devait être reporté aux commissaires. La réforme retirait cette systématicité, pour laisser l’initiative aux commissaires.

« Le plan est que seuls les problèmes sérieux et sans contestations possibles seront punis à partir de maintenant. C’est juste une approche différente » expliquait, à l’époque, Charlie Whiting. « Une investigation est lancée, c’est qu’il s’agit de quelque chose de très clair, à sanctionner. Il y aura donc plus de choses qui seront classées sans suite, comme des incidents de course normaux. »

Le directeur de course prenait l’exemple du violent accrochage Sergio Pérez – Felipe Massa, dans les derniers tours du Grand Prix du… Canada 2014. « Il n’y aurait peut-être pas eu de sanctions, parce que la culpabilité d’un pilote n’a pas été prouvée à 100% » soulignait Charlie Whiting pour illustrer cette nouvelle approche.

Si l’on remonte un peu plus loin, à novembre 2011, les directeurs d’écurie se plaignaient, déjà, de la sévérité de la FIA. Directeur de Toro Rosso, Franz Tost vitupérait contre les commissaires après le Grand Prix de Singapour 2011. Son pilote Jaime Alguersuari avait été pénalisé d’un drive-through lors d’un accrochage avec la Caterham de Jarno Trulli. « C’est une blague qu’il se retrouve puni parce qu’il a tenté d’attaquer Trulli en l’effleurant à peine » râlait Tost. « Nous avons un besoin urgent de commissaires professionnels. »

Comment faire, dès lors, pour qu’il y ait bien moins de polémique après chaque course, et pour que les pilotes arrêtent systématiquement de se plaindre lorsqu’une manœuvre de dépassement est réussie à leur détriment ?

La première piste tiendrait en une réforme profonde du règlement sportif de la FIA : il s’agirait de clarifier le fait que seuls les incidents les plus graves et les plus manifestement anti-sportifs seraient sanctionnés. Pour reprendre un terme du droit administratif, les commissaires ne seraient chargés que d’évaluer les erreurs manifestes d’appréciation, au lieu d’effectuer de plus subtils contrôles de proportionnalité.

La deuxième piste – qui n’exclut pas l’autre – est un autre serpent de mer de la F1 : il s’agirait, pour apporter plus de constance dans les décisions, de nommer des commissaires professionnels et permanents, qui se rendraient de Grand Prix en Grand Prix. La piste a été une fois de plus soutenue après le Grand Prix du Canada, notamment par Mika Hakkinen : « Il est peut-être temps pour la F1 de considérer la possibilité de nommer trois commissaires permanents, peut-être avec un pilote qui serait un quatrième commissaire, qui rendrait des avis consultatifs. Je ne questionne pas les capacités des commissaires de Montréal, mais le sport pourrait progresser si les mêmes personnes se rendaient sur chaque Grand Prix. »

De son vivant, Charlie Whiting avait déjà écarté cette possibilité, pour des raisons qu’il n’avait voulu préciser. « Nous discutons de ce sujet tout le temps en fait. Mais nous croyons que la nomination de quatre commissaires permanents pour toute une année ne ferait que mener à de nouveaux questionnements, très nombreux. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais nous pensons, pour le moment, que la direction que nous avons prise était la plus raisonnable. » Charlie Whiting craignait-il que tel ou tel commissaire fasse l’objet de pressions, ou soit accusé d’être pro-Ferrari ou pro-Mercedes, ce qui ruinerait sa crédibilité sur la saison entière ?

Quoi qu’il en soit, la F1, la FOM, la FIA, ne peuvent plus se permettre que chaque course soit émaillée de polémiques et d’incidents divers. Une clarification s’impose : la FIA est-elle prête à assumer, oui ou non, cette approche plus libérale ? La prise de fonctions de Michael Masi est une bonne occasion pour affirmer, pour de bon, la réalité de cette nouvelle doctrine.

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