Spa et surtout Monza sont des circuits typés moteur, où la performance d’une monoplace en lignes droites fait toute la différence au chronomètre. Or, pour gagner des km/h si précieux, le phénomène d’aspiration est incontournable dans la F1 contemporaine – en particulier cette année, où l’effet d’aspiration est encore renforcé par la réglementation aérodynamique des ailerons arrière.
A Monza, si un pilote entre dans l’aspiration d’une autre voiture, le gain peut s’élever jusqu’à cinq dixièmes sur un tour. Un gouffre.
C’est la raison pour laquelle, en Q3, tous les pilotes ont cherché à bénéficier de cette aspiration. Comme cela était à craindre, aucun n’a voulu prendre les devants et ouvrir la piste, au risque de devenir le dindon de la force. Cette attitude non-coopérative, de « cavaliers solitaires » comme l’aurait dit un économiste, a abouti à la farce que l’on sait en Q3.
La scène, burlesque, restera dans les annales : les pilotes se sont suivis à très faible allure, personne ne voulant accélérer. Nico Hulkenberg a coupé la chicane pour ne plus devoir mener le peloton. Puis, une fois que les ingénieurs ont averti que le temps commençait à manquer, tous les pilotes ont accéléré et se sont livrés une véritable bataille, digne d’un dimanche de course, pour ne pas se faire piéger par le chronomètre. Seuls Carlos Sainz et Charles Leclerc sont parvenus à passer entre les mailles du filet.
Ce spectacle a autant amusé que contrarié les spectateurs qui s’attendaient à vivre un duel haletant pour la pole. L’image de la F1 comme « pinacle du sport automobile » n’en est pas sortie grandie non plus.
Fort logiquement, la FIA réfléchit aujourd’hui à un moyen d’éviter de revivre une pareille scène à l’avenir.
« Nous en avons discuté après Spa, et tout le monde dans la pièce, les patrons d’écurie comme les pilotes, ont reconnu qu’une simple modification du règlement ne suffirait pas à régler le problème » a ainsi détaillé Michael Masi, le directeur de course de la FIA, après Monza.
Comment faire, alors, pour résoudre ce nouveau chantier qui se pose à la direction de course ? Trois directions peuvent être explorées.
La première serait de faire confiance aux pilotes et aux écuries. La plupart des pilotes ont été piégés par le chronomètre à Monza, et il pourrait donc être souhaitable pour eux, à l’avenir, de ne plus tenter le diable.
Mais Masi lui-même reconnaît qu’aucun pilote n’osera franchir le pas en premier… « Au bout du compte, ce sont des sportifs de haut niveau qui essaient de tirer le maximum de toute situation. Nous pouvons parler de gentelman’s agreements et de tout le reste, mais le fait est qu’une fois la visière abaissée, ils sont tous là pour faire de leur mieux. »
La deuxième solution serait de pénaliser lourdement sur la grille les pilotes ayant délibérément ralenti leur allure, comme Nico Hülkenberg, Lance Stroll ou Carlos Sainz. C’est d’ailleurs ce qui a été fait en Formule 3 à Monza, ou en WTCC, en Autriche, en 2013. A l’inverse, Nico Hulkenberg, Lance Stroll ou Carlos Sainz n’ont écopé que de simples réprimandes.
Mais 2013 n’est pas 2019, toujours selon le directeur de course de la FIA : « Je pense que dresser des analogies entre 2013 et 2019 – et même entre 2018 et 2019 – n’est pas la bonne chose à faire. La situation a vraiment évolué, les attitudes ont changé. Il y a trois ans, nous n’avions qu’une pénalité standard : un drive-through, qui devait s’appliquer pour tout incident ; et maintenant, notre sport a évolué dans l’ensemble. De plus, la technologie a évolué depuis 2013. Nous sommes très chanceux, car durant un Grand Prix de F1, nous avons beaucoup d’angles de caméra différents, la télémétrie, les données, la radio, tout ce qui est imaginable ou presque. »
Masi sous-entend ainsi que la FIA pourrait tirer profit de ces masses de données, afin d’infliger des pénalités personnalisées à tout pilote, en fonction de la gravité de leur comportement : 1 place sur la grille pour l’un, 3 pour l’autre, etc… Les pénalités seraient ainsi mieux proportionnées, mais elles seraient sans doute aussi plus complexes à comprendre.
Une troisième et dernière solution serait d’adapter le format des qualifications en fonction de chaque Grand Prix. Ainsi, à Monza, il serait possible d’imaginer une Q3 où chaque pilote s’élancerait tour à tour, en étant seul en piste, sans pouvoir bénéficier de l’aspiration. Les positions sur la grille seraient ainsi plus représentatives des performances de chaque voiture.
Cette idée comporte aussi ses désavantages : comment déterminer les pistes qui pourraient bénéficier de ce nouveau format ? Si Monza était choisi, pourquoi pas Bakou ou Sotchi ? Et de plus, le spectateur plus néophyte pourrait être perdu en voyant le format des qualifications évoluer de semaine en semaine.
On l’aura compris, comme l’indique Masi, la solution à ce problème n’est en aucun cas aisé. Ce qui est certain, c’est que la FIA ne doit pas se précipiter pour régler cette problématique – en changeant par exemple le format des qualifications pour toute une saison, alors que cette formule fonctionne bien depuis quasiment une décennie. Par le passé (bannissement des conversations radio, format des qualifications par élimination…) la FIA nous a habitués à prendre des décisions hâtives.
Heureusement, la Fédération devrait, cette fois-ci, prendre le temps de la réflexion, si l’on en croit Masi : « Nous aurons une discussion plus en détail à Singapour, et certaines équipes sont déjà arrivées avec des simulations, des idées, pour voir comment ce problème pourrait être rectifié, parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde. »
Rendez-vous après Singapour, donc, pour voir ce que les ingénieurs et leurs ordinateurs auront trouvé comme remède !