L’affaire Andretti continue de secouer, et d’inquiéter, les instances régulatrices de la F1 (surtout la FOM).
Après les États-Unis et le Congrès américain, c’est au tour de deux députés européens de s’interroger sur les pratiques jugées restrictives de Liberty Media. Deux eurodéputés réclament des réponses et des mesures concrètes pour éclaircir la situation née des derniers "niets" de la FOM à Andretti pour entrer en F1.
Il y a quelques mois, avant même les députés européens, c’était déjà la Cour de Justice de l’UE qui faisait évoluer sa jurisprudence dans le sport : une évolution que nous avions analysée ici (voir notre article) et qui était de nature à remettre en cause le refus assumé de la FOM à accueillir une nouvelle équipe.
La raison ? Les règles anti-concurrentielles de l’UE, qui doit s’assurer que la concurrence soit « libre et non faussée » entre Andretti et les équipes actuelles (comme dans tout autre marché important à l’échelle européenne).
La CJUE rappelait dans son arrêt que l’UEFA et potentiellement la FOM (sans la nommer), n’ont pas à abuser justement de leur position régulatrice dans une perspective anti-concurrentielle (pour empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché). Tout régulateur d’un sport, rappelle la CJUE, se doit d’assurer une concurrence libre et non faussée. Refuser l’entrée d’un acteur, sous le seul prétexte de ne pas vouloir partager davantage le gâteau des recettes, pourrait être attaquable devant les tribunaux.
La CJUE insiste de plus sur la nécessité, pour les organisations régulatrices du sport, de suivre des critères transparents, objectifs et non discriminants : autant de facteurs sur lesquels Andretti, qui a un dossier très solide, pourrait s’estimer lésé.
Deux parlementaires européens dubitatifs sur le rejet d’Andretti
Après le judiciaire, le législatif donc : deux parlementaires européens s’interrogent de plus en plus sur le rejet de la candidature d’Andretti pour intégrer la grille F1 en 2026.
Le député européen belge Pascal Arimont (appartenant au PPE, droite européenne) avait déjà adressé une demande écrite à la Commission européenne au sujet des activités de Liberty Media. D’une part, il sollicitait des éclaircissements sur le projet de reprise de MotoGP par Liberty, soulevant la question d’une potentielle restriction illégale de la concurrence en F1. D’autre part, Arimont faisait également référence à la tentative d’Andretti d’entrer en F1 en 2026, refusée par Liberty Media.
Désormais, une seconde eurodéputée a saisi la Commission européenne à propos de cette affaire.
Cette fois, c’est au tour de Christine Anderson, députée allemande de l’AFD (extrême-droite allemande), de se pencher sur le sujet. La députée a soumis une demande officielle à la Commission européenne le 16 octobre 2024. Elle y précise ceci :
« Le fait que le Formula One Group ait rejeté l’entrée d’Andretti en Formule 1, malgré l’approbation de la FIA, pourrait indiquer un conflit d’intérêts fondamental. Les équipes existantes semblent former un cartel de facto qui exclut systématiquement de nouveaux concurrents pour protéger leurs revenus et valeurs de marché. Cette pratique pourrait significativement fausser la concurrence dans l’industrie européenne du sport automobile. »
En quoi cela concerne l’UE ? Tout d’abord, des équipes sont basées au Royaume-Uni, pour leur majorité, mais plusieurs ont aussi des bases en Italie. Surtout, le marché de la F1 est tel qu’il est considéré comme intéressant également le marché intérieur de l’UE.
Or, qui dit marché, dit également nécessité d’y avoir accès librement, sans possibilité de verrouiller l’accès audit marché. C’est une des règles fondamentales de la construction européenne.
La députée attire l’attention de la Commission européenne en arguant que la F1 deviendrait elle-même moins ouverte et innovante, en étant un club fermé.
« Le cas de l’écurie Williams illustre bien ce problème, puisque les difficultés financières rencontrées lors de la crise du COVID-19 ont obligé à vendre cette entreprise établie de longue date, la famille Williams ayant dû céder toutes ses parts. Les valeurs élevées des équipes résultant du verrouillage du marché rendent pratiquement impossible l’entrée en Formule 1 ou la reprise d’équipes existantes par des entrepreneurs privés innovants tels qu’Eddie Jordan ou Ross Brawn. »
Elle interpelle ensuite directement la Commission en lui demandant d’ouvrir une enquête anti-concurrentielle.
« Cette situation a des conséquences directes sur le marché intérieur, car de nombreuses équipes de Formule 1 sont basées dans l’UE.
1. Compte tenu de cette situation problématique, quelle est l’appréciation de la Commission sur les structures de type cartel en Formule 1, qui entravent l’entrée de nouvelles équipes et conduisent à une concentration des propriétaires d’équipes entre les mains de grands investisseurs ?
2. Quelles mesures la Commission envisage-t-elle pour garantir un processus plus équitable et plus transparent pour l’entrée de nouvelles équipes dans la Formule 1 et un large éventail de propriétaires d’équipes ?
3. La Commission envisage-t-elle d’étudier l’impact de ces barrières à l’entrée et de la concentration du marché qui en résulte sur l’innovation, l’emploi et la compétitivité des secteurs du sport automobile et de l’automobile dans l’UE ? »
Les nuages s’accumulent pour la FOM
Et à présent ? La Commission doit donner son avis d’ici un mois et demi et décider s’il y a lieu ou non d’ouvrir une enquête.
Cette enquête s’ajouterait donc à celle, déjà ouverte, aux États-Unis, par le Ministère de la Justice, pour déterminer si la F1 est en effet devenue un cartel fermé ou non.
Dans le même temps, il faudra également suivre les répercussions de l’évolution de la jurisprudence de la CJUE.
Les prochains mois s’annoncent cruciaux pour définir si la Formule 1 reste un club exclusif ou si elle doit ouvrir ses portes à une nouvelle vague de compétiteurs. Une bataille légale, qui pourrait être aussi rude que la bataille en piste…