Autrefois considérée comme une quête allant à l’encontre de l’ADN du sport automobile, la sécurité est devenue un cheval de bataille des organisateurs de la F1. Dans cet article en trois parties, nous revenons sur son histoire, ses obstacles et sa réussite. Voici la 3e et dernière partie.
Après les balbutiements des années 60 et 70, qui mena à une quête bien plus ouverte lors des décennies suivantes au sujet de la sécurité en Formule 1, la Formule 1 se retrouvait devant un besoin de prouver qu’elle s’éloignait du danger.
L’onde de choc du décès d’Ayrton Senna ayant été ressentie pendant de nombreuses années, elle mena à des avancées phénoménales en termes de sécurité lors de la fin des années 90. Malgré quelques frayeurs, comme l’accident de Pedro Diniz au Nürburgring, lors duquel l’arceau de sa Sauber céda après un tonneau, de nombreux pilotes sortirent indemnes d’accidents énormes.
Celui de Martin Brundle à Melbourne en 1996 – où sa Jordan se coupa en deux – et les deux crashs des BAR de Jacques Villeneuve et Ricardo Zonta à Spa en 1999 en furent la preuve, tout comme le carambolage impliquant 13 voitures au départ l’année précédente, duquel sortirent indemnes tous les pilotes, à l’exception d’un retour de volant qui blessa légèrement Rubens Barrichello à la main. L’avant des monoplaces était cependant toujours considéré comme fragile après les accidents d’Olivier Panis et Michael Schumacher, leur ayant causé des fractures aux jambes.
Le HANS, un progrès de sécurité fulgurant
Mais le début des années 2000 fut hélas endeuillé par deux accidents mortels en Formule 1, moins exposés médiatiquement puisqu’il s’agissait de deux commissaires de piste. Le Grand Prix d’Italie 2000 fut en effet le théâtre d’un énorme carambolage au départ, et la roue d’une monoplace alla heurter Paolo Gislimberti, commissaire en bord de piste à la seconde chicane.
Six mois plus tard, Villeneuve échappa sans blessure à un accident effroyable à Melbourne, rappelant une nouvelle fois les progrès en matière de sécurité active des monoplaces, mais Graham Beveridge fut tué par des débris de la BAR qui le percutèrent.
Toujours réactive, la FIA imposa de renforcer les attaches des roues dès 2002, obligea encore à l’élargissement des rétroviseurs et renforça également la structure déformante arrière des monoplaces.
En 2003, c’est une avancée majeure qui fit son entrée en F1 de manière obligatoire : le système HANS. Un acronyme qui veut dire Hand And Neck Support, un dispositif protégeant le cou et la tête des pilotes qui avait été rendu obligatoire deux ans plus tôt de l’autre côté de l’Atlantique, en CART.
Conçu à la fin des années 80, il avait été largement développé par General Motors et Ford au milieu des années 90, et les données permettaient une utilisation approuvée par les autorités à la fin de la décennie. Mercedes, grâce à Robert Hubbard et Jim Downing, termina la mise au point du système qui fut choisi par la F1, non sans avoir considéré pendant un moment un airbag autour du cockpit.
Présenté aux équipes en 2001, il devint obligatoire en NASCAR en 2002 à la suite du décès de Dale Earnhardt, et en F1 l’année suivante. Il est aujourd’hui utilisé dans toutes les disciplines de sport auto de haut niveau, et imposé dans toutes les compétitions régies par la FIA.
Accepter que le risque zéro n’existe pas…
En 2005, après une saison 2004 lors de laquelle de nombreux records furent battus, dont certains tiendront d’ailleurs jusqu’à l’arrivée des monoplaces de la réglementation 2017, le diffuseur arrière vit sa taille réduite pour limiter le grip en courbe et donc les vitesses de passage.
La hauteur des protections latérales de cockpit fut, durant cette période, régulièrement adaptée pour poursuivre les progrès en matière de sécurité, même si Alex Wurz passa près d’un accident très grave au Grand Prix d’Australie 2007, le fond plat de la voiture de David Coulthard frôlant son casque.
Au Grand Prix du Canada 2007, l’énorme crash de Robert Kubica (photo ci-dessous), dont il sortit avec une simple cheville foulée, fit office de consécration pour la FIA, tant il apparaît encore aujourd’hui que le pilote aurait eu des blessures sévères quelques années auparavant.
Et de nouveau, en 2009, cette quête perpétuelle de sécurité fut marquée par un accident grave, survenu en Hongrie lors des qualifications. Frappé à la tête par une pièce perdue par la Brawn GP de Barrichello, Felipe Massa subit un lourd traumatisme facial et crânien, et subit des opérations en urgence qui lui sauvèrent la vie.
Une chance que n’eut pas Henry Surtees une semaine plus tôt. Le fils de John Surtees perdit la vie lors d’une course du nouveau championnat de Formule 2, heurté à la tête par la roue arrachée d’un concurrent.
… mais le rechercher quand même
La protection de la tête des pilotes semblait alors bien trop peu prise en compte dans toutes les compétitions, même si les solutions pour y remédier en monoplace n’étaient pas simples à mettre en place.
Entre temps, les circuits dessinés par Hermann Tilke avaient vu de nouveaux standards se mettre en place, les dégagements gagnant en taille et devenant de plus en plus asphaltés, tandis que les barrières TecPro présentaient aussi des propriétés meilleures.
Mais le problème de protection de la tête des pilotes allait devenir de plus en plus pressant, et un sujet renforcé par les accidents mortels de Dan Wheldon et Justin Wilson en IndyCar, en 2011 et 2015, consécutifs à des chocs subis à la tête. Et entre-temps, la F1 allait être rappelée au souvenir de drames qui échappent parfois au contrôle.
Au Grand Prix du Canada 2013, pour la première fois depuis 12 ans, la mort revenait sur les circuits de la catégorie reine avec le décès d’un commissaire de piste le soir de la course, renversé par une grue ramenant une monoplace dans la voie des stands. Des grues qui, d’ailleurs, posaient question après quelques drames évités de justesse.
On peut penser au Grand Prix du Brésil 2003 (photo ci-dessous), où Michael Schumacher alla immobiliser sa monoplace accidenté à côté de l’épave de celle d’Antonio Pizzonia en cours de remorquage, ou au Grand Prix d’Europe 2007, où l’engin de support fit son apparition dans le bac à gravier alors que les monoplaces continuaient à sortir de piste, et fut percuté à faible vitesse par l’aileron arrière de la Toro Rosso de Vitantonio Liuzzi.
Le drame de Bianchi remit tout en question
Malheureusement, en dépit de critiques s’élevant lors de tels incidents, le drame n’a pu être empêché en 2014 à Suzuka, lorsque Jules Bianchi est venu percuter une grue qui était en train de récupérer la monoplace d’Adrian Sutil. Après plusieurs mois de coma, le Français n’a pas survécu à ses blessures.
La F1 et la FIA se sont de nouveau retrouvées devant cet éternelle question : comment viser le risque zéro ? Car bien que ce soit l’objectif ultime de la F1, ce risque zéro ne peut pas exister dans un sport où les pilotes roulent à 360 km/h sur des circuits entourés de rails, de pneus et de murs.
Pour autant, la FIA refusait encore et toujours de laisser une once de fatalité dans les accidents qui venaient endeuiller les courses qu’elle régit, et lança au milieu des années 2010 des recherches sur un système de protection de la tête des pilotes.
Deux projets de front furent menés, un système d’arceau connu sous le nom de Halo, et une bulle d’avion nommée Shield (photo principale de l’article). Cette dernière a vite été abandonnée après avoir causé des vertiges à Sebastian Vettel.
Le Halo, décrié mais incontestable
Au terme de plusieurs mois de tests effectués sur le Halo, il a finalement été validé pour une utilisation dès 2018. Une décision qui a beaucoup fait parler parmi les fans de F1, et notamment ceux défendant la fameuse image du gladiateur des temps modernes que doit véhiculer le pilote de course, jugeant que la sécurité recherchée nuisait à l’aspect chevaleresque de la compétition automobile.
Après quatre ans d’utilisation en Formule 1 et dans les autres catégories de la FIA, le constat est pourtant sans appel, avec plusieurs accidents durant lesquels le Halo a été touché et le pilote épargné.
Le système n’a pas été conçu en réaction à l’accident de Bianchi, puisqu’un tel dispositif était réfléchi depuis plusieurs années, et la FIA l’a clairement expliqué en révélant que la présence du Halo n’aurait possiblement rien changé au sort du malheureux pilote, compte tenu de l’angle, de la vitesse et de la violence du choc.
Mais un concept de voiture de sécurité virtuelle a été créé pour pouvoir réagir rapidement, avant l’entrée possible du vrai Safety Car, et ralentir immédiatement les pilotes. Là aussi critiqué pour les situations parfois injustes qu’il apporte, ce dispositif n’est pas plus injuste que l’effet provoqué par la voiture de sécurité et empêche théoriquement que de tels accidents se reproduisent.
Entre miracles et drames, pas de solution idéale
En 2014, la F1 avait décidé d’abaisser la hauteur du nez des monoplaces, et celle-ci a encore abaissée en 2022 avec la nouvelle génération, afin de ne pas provoquer de blessures graves en cas d’accident.
C’est ce qui avait été évité de peu en 2010 à Abu Dhabi entre Michael Schumacher et Vitantonio Liuzzi, la Force India de l’Italien manquant de percuter le casque de l’Allemand. Malheureusement, on a aussi découvert que les nez bas, utilisés en F1, F2 et F3, ne parent pas à toute éventualité.
Moins de cinq ans après l’accident de Jules Bianchi, le décès d’Anthoine Hubert lors de la première course de Formule 2 de Spa-Francorchamps en 2019 a de nouveau rappelé que le pire était parfois inévitable. La FIA mène des enquêtes après chaque incident grave et a par la suite confirmé que de nouvelles avancées allaient être étudiées.
Mais les conclusions sur l’accident d’Anthoine Hubert ont montré qu’il y a parfois une fatalité, et que le manque de graviers en bord de piste, un moment avancé comme éventuelle raison du drame, n’a pas eu d’incidence. En effet, l’absence de ralentissement de la voiture de Juan Manuel Correa était en fait dû à une crevaison.
Une part de chance inévitable
Et de la même manière que l’accident d’Anthoine Hubert amena le constat d’une fatalité dans l’issue de son accident, celui de Romain Grosjean au Grand Prix de Bahreïn fut totalement l’inverse.
Après un accident effroyable qui vit sa voiture passer dans un rail, se couper en deux et exploser en flammes, le Français parvint à sortir presque indemne du brasier qu’était devenu sa monoplace.
Un miracle qui prouva une nouvelle fois l’efficacité du Halo, mais cet accident a de nouveau révélé des failles sur les monoplaces, avec le besoin de renforcer le réservoir et sa fixation au châssis. De même, le terrible crash de Guanyu Zhou au départ du Grand Prix de Grande-Bretagne 2022 a nécessité de la chance pour que le Chinois s’en sorte.
Mais il a aussi permis de mettre en évidence un autre talon d’Achille des monoplaces, en l’occurrence leur arceau. Les protections de type « blade » comme l’Alfa Romeo, c’est-à-dire constituées d’un seul pilier central au-dessus de la tête du pilote, ont été interdits. De plus, les crash-tests vont être renforcés dans les deux années à venir.
Il n’y aura jamais trop de sécurité
La quête de sécurité est perpétuelle en sport automobile. On l’a vu en IndyCar avec l’arrivée de l’Aeroscreen, en NASCAR avec la réduction de la vitesse des voitures et les renforts de plus en plus nombreux qui ont sauvé la vie de Ryan Newman en février 2020.
On l’a aussi vu dans tous les championnats estampillés FIA, qui œuvrent année après année au renforcement des monoplaces et à la modification des procédures et circuits pour éviter au maximum les drames.
Le fait que d’autres catégories abordent la sécurité avec le même état d’esprit légitime entièrement le positionnement de la F1 et la pousse aujourd’hui à aller plus loin pour rester leader du développement de technologies qui concernent la sécurité.
Et bien que les accidents soient aujourd’hui globalement moins graves dans leurs conséquences qu’ils ne l’étaient par le passé, les pilotes de course de haut niveau n’en restent pas moins des athlètes complets, capables de résister à de violents chocs.
Et surtout, ce sont des sportifs prêts à s’exposer à un danger qui, bien que réduit au fil des époques, est toujours présent. Une prise de risque qui en fait toujours des gladiateurs des temps modernes, dont l’arène et l’armement ont évolué avec le temps.