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Stewart est ’chanceux’ d’avoir survécu à une F1 ’ridicule’

Le triple champion du monde a fait évoluer la sécurité

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Jackie Stewart a été depuis les années 60 un militant pour la sécurité en F1. Le triple champion du monde a perdu de nombreux amis en course automobile à l’époque, et reste toujours choqué du nombre de blessures et de décès que la Formule 1 enregistrait dans ses premières décennies.

"À cette époque, le nombre de décès était énorme, c’était ridicule" a déclaré Stewart, se jugeant "chanceux" d’avoir survécu. "Les circuit en eux-mêmes n’avaient jamais été modifiés depuis avant la Seconde Guerre mondiale. Pas de zones de dégagement à l’extérieur de la piste, rien."

"Les cockpits de nos voitures signifiaient que nous étions assis sur nos réservoirs de carburant tout le temps, jusqu’aux genoux. C’était un monde différent, mais nous ne connaissions pas mieux. Même à l’époque, la Formule 1 était la technologie la plus rapide du monde, mais c’était très dangereux."

La mort de près au Grand Prix de Belgique 1966

L’une des prises de conscience de Stewart s’est produite lors d’un énorme accident au Grand Prix de Belgique 1966, durant lequel il s’est rendu compte que la F1 n’était pas prête à prendre en charge les situations de grand danger.

"J’ai eu un gros crash à Spa, parce que la piste était ridiculement non protégée. J’ai renversé un poteau télégraphique et je suis entré dans la cabane d’un bûcheron. Je me suis retrouvé coincé dans une cour de ferme. Graham Hill et Bob Bondurant m’ont sorti de la voiture et cela leur a pris 30 minutes, il n’y avait aucun commissaire."

"J’étais trempé d’essence. J’ai demandé à Graham d’enlever tous mes vêtements parce que j’étais en train de perdre conscience et que je brûlais. C’était un carburant à l’octane beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. Ensuite, j’étais allongé nu sur le sol pendant qu’ils essayaient de trouver des commissaires, des ambulances, mais il n’y avait rien."

"Ils ont dû prendre des outils dans les voitures des spectateurs pour me sortir de là. Le centre médical était ridicule, avec des mégots de cigarettes et des déchets sur le sol. Après cela, j’ai eu un spécialiste qui était bon en réanimation, ainsi que tout le reste. Il est venu à toutes les courses auxquelles j’ai participé."

Stewart est "fier" d’avoir changé les choses

Plus tard, Stewart a organisé le boycott par les pilotes des courses de Spa et du Nürburgring, dans le but d’améliorer la sécurité. Bien que cela fut un succès, il se rappelle que cela lui a coûté cher en termes de réputation.

"J’étais très impopulaire à cause de ça, j’ai reçu des menaces de mort. Les gens venaient chez moi et frappaient aux portes. Nous avions une grande porte que nous devions bloquer intégralement pour être sûrs que les gens ne pourraient pas passer."

"Pour beaucoup de gens, la course automobile devait être dangereuse. Notre taux de mortalité était épouvantable et, en cas d’accident grave, on ne s’arrêtait jamais. Vous conduisiez à travers les flammes. Avec l’accident de Piers Courage, j’ai su que c’était lui parce que son casque s’était détaché et qu’il était sur le bord de la piste."

"C’était une très grosse affaire contre moi personnellement, en tant que président du GPDA à l’époque. Mais c’était la bonne chose à faire et cela a changé tout l’élément de la sécurité des courses automobiles à mon époque. J’en suis fier."

L’horreur du décès de Jochen Rindt

L’Ecossais a perdu de nombreux amis dont Jochen Rindt, devenu le seul champion du monde à titre posthume après son accident à Monza en 1970. Les circonstances de son décès furent toutefois déplorables, comme le raconte Stewart.

"La mort était très proche et très souvent. Et nous l’avons vue dans les pires circonstances. À Monza, quand Jochen est mort, je n’ai pas assisté à l’accident, j’étais dans les stands à ce moment-là."

"Mais on m’a dit qu’il avait eu un accident et je suis allé voir Nina [Rindt] en lui disant ’je vais aller le voir et savoir ce qui s’est passé, ne t’inquiète pas pour ça’. Je suis allé le voir mais il était déjà mort. Il était à l’arrière d’un camion, une remorque, sans aucune couverture sur lui."

"En Italie, personne n’avait le droit de mourir sur un circuit de course, car si c’était le cas, le week-end entier devait s’arrêter, c’était la loi. Donc Jochen est mort ’en route vers l’hôpital’, comme [Ayrton] Senna. Mais ils étaient morts."

"Je suis rentré et Ken [Tyrrell] m’a dit ’bien Jackie, tu dois sortir et te qualifier’. Je suis sorti et j’ai fondu en larmes en montant dans la voiture, je ne suis pas émotif normalement. Et puis je suis sorti et j’ai fait le tour le plus rapide que j’ai jamais fait à Monza."

"Je me suis placé sur la première ligne, deuxième derrière la Ferrari de [Clay] Regazzoni, et je suis revenu après quatre tours, et j’ai encore fondu en larmes en sortant de la voiture. C’est la seule fois où cela m’a affecté, parce que c’était un très bon ami."

"Personne n’a assisté à plus d’enterrements que moi"

Stewart se souvient avoir assisté à de nombreux enterrements, car il tenait à rendre hommage à tous ses homologues disparus. Ce n’était pas le cas de certains pilotes, dont son équipier de l’époque, François Cevert, lui aussi mort dans le cadre d’un Grand Prix.

"J’ai appris à gérer mes émotions. Je ne connais personne qui ait assisté à plus d’enterrements que moi, mais c’était une chose importante à faire. François Cevert, par exemple, ne serait jamais allé à un enterrement, il en avait peur. C’était une période très difficile."

Et s’il perdait des amis, c’est parce que la F1 avait un esprit totalement différent : "La camaraderie était fantastique, nous voyagions tous ensemble. Aujourd’hui, tout le monde a des hélicoptères et des jets privés qui les attendent, et ils ont leur camping-car où ils ont une salle de douche et une salle de massage."

"À l’époque, nous étions à l’arrière du camion ! Mais la camaraderie était vraiment proche. Helen (sa femme, ndlr) s’occupait de la cartographie du terrain et du chronométrage pour l’équipe. C’était ce que faisaient toutes les femmes et les petites amies, cela faisait partie intégrante du métier."

"Et bien sûr, nous conduisions des voitures de GT, des voitures de Can-Am, des IndyCar, des voitures de tourisme. Vous conduisiez tout pour gagner de l’argent, parce que c’était petit en comparaison avec aujourd’hui, très petit. Une année, j’ai traversé 69 fois l’Atlantique à cause de l’IndyCar, de la télévision américaine, et de la course."

"Tout était différent. En 1971, j’ai gagné 1 million de livres sterling pour la première fois en une saison. Combien gagnent [Max] Verstappen et Lewis [Hamilton] maintenant ? Beaucoup d’argent ! Et c’est bien, je suis content. À la fin, je gagnais bien ma vie aussi. Les temps ont changé."

Nous allons publier dès ce soir, et jusqu’à vendredi soir, un magazine en trois parties sur la sécurité en F1 et son histoire tumultueuse. Nous y reviendrons sur les erreurs qui ont été commises, le combat que cela a représenté, et les améliorations apportées au fil des époques.

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