Avec Nicolas D.Z
Les jantes en Formule 1 sont devenues un élément technique essentiel au fil des années, à mesure que l’ingénierie se développait sur les monoplaces. Usure, température, adhérence : les jantes ont aujourd’hui un rôle dans de nombreux paramètres.
Le règlement changera drastiquement l’an prochain, et les jantes ne seront pas épargnées avec l’abandon des roues de 13 pouces au profit de celles de 18 pouces, que l’on voit déjà en F2 depuis l’an dernier.
Le prototype de Formule 1 pour 2022 présenté à Silverstone embarquait des jantes de 18 pouces en partie pleines (photo de l’article), mais l’apparence finale reste encore à définir. Elles seront toujours essentielles aux performances d’une F1, mais les changements seront nombreux.
La jante, un paramètre crucial dans l’ère Pirelli
La fonction première d’une jante est d’assurer la liaison entre le moyeu de roue et le pneu. Au fil du temps, les jantes ont eu d’autres utilités, notamment à des fins aérodynamiques. A la fin des années 2000, des flasques avaient été ajoutées, mais celles-ci furent controversées.
En effet, elles s’étaient finalement révélées néfastes dans le trafic, provoquant des turbulences importantes et compliquant grandement l’aptitude des monoplaces à se suivre de près. Il fallut ensuite attendre dix ans pour les voir jouer de nouveau un rôle différent.
Depuis 2018, sous l’impulsion de Mercedes, les jantes sont utilisées pour réguler la température des pneus. En effet, les gommes chauffent énormément en phase de freinage mais se refroidissent également très vite en ligne droite.
Il est primordial de garder les pneus dans la bonne fenêtre d’utilisation, ce qui est doublement difficile avec les gommes Pirelli. Le manufacturier italien répond à un cahier des charges très strict de la FIA et propose des produits très difficiles à faire fonctionner à leur plein potentiel.
Une fenêtre de fonctionnement très étroite pour les gommes
En 2019, Pirelli révélait que la fenêtre d’utilisation des pneus les plus durs (composé C1) était comprise entre 110° C et 140° C, alors qu’elle se situait entre 85° C et 115° C pour les pneus les plus tendres (composé C5).
En dessous de ces fenêtres, quand le pneu est plus froid que la température minimale recommandée, la pression baisse. Les polymères dans le pneu sont plus rigides, se déforment moins et adhèrent moins à la piste.
A contrario, la pression dans le pneu augmente quand la température maximum d’utilisation est dépassée, ce qui entraine un gonflement du pneu. La surface de contact entre le pneu et le sol n’est plus plane mais courbée, ce qui entraine une diminution de cette surface, et donc une diminution du grip.
Si la température devient très élevée, le pneumatique peut presque bouillir et on verra alors des cloques se former à la surface du pneu, ce qui peut mener à l’éclatement.
Les cratères formés par les cloques diminuent davantage la surface en contact avec la piste, ce qui provoque un cercle vicieux et entraîne une chute de la performance plus importante.
Les équipes utilisent les jantes pour réguler la température des pneus
Les équipes ont rapidement compris que les jantes, dans lesquels un important flux d’air circule ainsi qu’une chaleur provoquée par les freins, pouvaient être un facteur important pour réguler ces températures. Elles ont trouvé principalement deux astuces pour y parvenir.
La première est une amélioration du flux d’air. Cela permet à ce flux d’air, qu’il soit chaud (en phase de freinage) ou froid (en ligne droite), de passer par le milieu de la jante lorsqu’il vient des freins.
Pour ce faire, Mercedes utilise des conduits placés dans le prolongement de l’écope de frein, puis les trous utilisés pour placer la roue sur le moyeu pendant les arrêts aux stands. Huit axes permettent de mettre en place la roue mais celle-ci contient 16 trous afin de faciliter son positionnement.
Les huit trous non utilisés sont utilisés pour transporter l’air de l’intérieur vers l’extérieur de la roue. Auparavant, ils ne débouchaient sur rien, mais c’est maintenant le cas, via de multiples trous de petit diamètre qui canalisent et redirigent l’air.
C’est aussi la solution qu’a adopté Alfa Romeo (photo ci-dessus), bien que le nombre de trous soit différent que chez Mercedes F1.
La deuxième astuce est de modifier la forme de la jante pour augmenter la taille de la surface exposée à l’air, que l’on appelle aussi ’surface mouillée’. Plus la surface est importante, plus le refroidissement est rapide.
C’est ce que permet la solution des jantes rainurées (photo ci-dessous) dont le but est de permettre un refroidissement plus rapide.
C’est pourquoi les équipes n’utilisent pas toujours les mêmes jantes pour les différents pneus. Une jante pour un pneu tendre aura une surface plus importante qu’une jante pour pneu dur.
Par ailleurs, il y a actuellement quatre fournisseurs de jantes en F1 que sont OZ , APPtech, Enkei et BBS. En revanche, chaque équipe est propriétaire du design de ses jantes, et celles-ci sont uniques.
Le règlement lié aux jantes changera aussi en 2022
La saison 2022 de F1, avec la révolution technique qui l’accompagne, verra l’introduction de jantes uniques fournies par la manufacturier BBS, en vertu de l’Article 10.7.4 du Règlement Technique de la Formule 1.
Cet article stipule précisément que tant le fournisseur que le design seront uniques : "La FIA désignera un fournisseur standard pour les jantes et les concurrents seront tenus d’utiliser ces jantes."
En plus de l’introduction des jantes uniques, les flasques feront leur retour en 2022 dans le but de diminuer les turbulences aérodynamiques et de faciliter les dépassements. Il faudra cependant que les leçons de 2008 et 2009 aient été retenues pour cela.
Alfa Romeo a notamment testé de telles jantes en essais privés pour Pirelli (photo ci-dessous), mais il semble que le choix technique concernant ces jantes soit encore sujet à interprétation pour le moment, puisque le prototype de F1 pour 2022 embarquait un type de jante légèrement différent.
Ces enjoliveurs de roues permettent de contenir l’air chaud à l’intérieur de la jante, ce qui amplifiera les problèmes de gestion des températures pour les équipes.
Paradoxalement, plus l’aérodynamique d’une F1 est efficace, plus la contrainte imposée sur les pneus est importante dans les courbes rapides. Les équipes qui auront la meilleure performance aérodynamique en 2022 risquent donc de souffrir d’une usure plus prononcée des pneus.
Les équipes de pointes pourraient être tentées de trouver un nouvel artifice pour optimiser la gestion des températures des jantes et des pneus, mais la FIA semble avoir déjà trouvé une parade à cela.
Comme le reste du règlement, qui est écrit pour limiter au maximum les interprétations du règlement qui pourraient nuire à son objectif de privilégier la course en peloton, la partie sur les jantes est très stricte.
L’Article 10.7.3 précise que "les seules pièces qui peuvent être physiquement attachées à la roue, en plus du pneu, sont les traitements de surface pour l’apparence et la protection."
Nul doute que les équipes essayeront malgré tout de trouver une parade. Elles pourraient par exemple être tentées d’utiliser des peintures à relief pour augmenter encore une fois la surface au contact de l’air, ou de canaliser l’air avec un autre artifice.
Néanmoins, la gestion des températures de pneus devrait être un paramètre bien plus délicat à gérer l’an prochain, puisque les équipes perdront plusieurs années d’avancées techniques dans le domaine.