Vous l’avez lu ces dernières heures et ces derniers jours, la guerre des évolutions se marie avec la guerre des budgets plafonnés cette année, notamment entre Ferrari et Red Bull : la première équipe s’étonne de voir la deuxième apporter déjà tant d’évolutions, par rapport à ce que permettent les 140 millions de budget autorisé sur une année.
Ce processus affecte toutes les équipes, y compris les plus petites. Par exemple Haas F1 n’a apporté aucune évolution à Barcelone pour cette raison.
Evoquons justement la situation de Red Bull : l’ère des dépenses sans limites est terminée. Comment Pierre Waché, le directeur technique, choisit-il les évolutions dans cette nouvelle période de contraintes ? Faut-il préférer une pièce chère qui apporte beaucoup de performance, à une pièce peu chère qui en apporte peu ?
Le Français raconte la gestion au quotidien d’un département technique sous l’ère des budgets plafonnés. Et on imagine que les tiroirs du médecin de travail sont pleins d’aspirine…
« Nous avons le même défi que tout le monde. L’essentiel est que, de mon point de vue, c’est une autre contrainte que nous avons. Avant, nous étions limités par les ressources en termes de temps que nous pouvions passer dans la soufflerie, en CFD, et par le nombre de personnes dont nous disposions pour travailler sur certains sujets. Vous avez juste une autre contrainte en termes d’argent avec laquelle vous devez jouer, une contrainte d’ingénierie. »
« Ce n’est pas plus difficile, c’est juste une autre contrainte. C’est plus difficile parce que ce que vous prévoyez doit avoir été fait auparavant. Cela signifie que si vous faites travailler un groupe de personnes sur un projet, s’il est inutile en termes de performances, vous perdez également de l’argent et des ressources. »
« Le système global doit être planifié et remis en question chaque jour, sur la manière dont vous avez dépensé les ressources et l’argent. C’est quelque chose que nous n’avions pas dans le passé. Mais oui, c’est beaucoup plus de travail. L’aspect principal est que, après cela, vous essayez d’être beaucoup plus efficace que ce que nous faisions dans le passé, surtout pour nous, pour être honnête. »
Dans l’autre équipe possédée par Red Bull, AlphaTauri, Jody Egginton détaille lui aussi sa méthode. Le directeur technique se pose bien plus de questions que par le passé en amont avant de lancer le moindre développement.
« Avec un budget limité, vous devez vraiment vous concentrer pour dépenser votre argent dans les bons domaines, et certaines parties de la voiture peuvent fournir plus de performance que d’autres, vraiment [comme le plancher par rapport à l’aileron avant selon Pat Fry chez Alpine]. Donc vous regardez ce que vous faites dans la soufflerie, en ciblant les endroits où les gains sont les plus importants, en mettant ces paquets ensemble, en voyant quelle est votre stratégie pour apporter du développement à la voiture. »
« Mais il y a toujours la question du plafond budgétaire, combien d’argent voulez-vous dépenser ? Comment voulez-vous vous y prendre ? Le calendrier des évolutions : faut-il se précipiter pour les réaliser à grands frais, ou les réaliser à un rythme différent pour économiser de l’argent, mais il y aura alors un retard ? Et puis, dans un coin de votre tête, il y a aussi... OK, qu’en est-il des choses sur lesquelles nous n’avons pas encore abouti ? »
« Votre argent doit être investi tout au long de la saison. C’est très compétitif, dans notre cas, dans le milieu de grille, nous voulons continuer à nous développer, c’est une guerre de développement, nous apprenons aussi sur la voiture course par course. Donc les plafonds budgétaires sont une partie très importante de tout ça. Vous devez gérer cela, en même temps que votre stratégie de développement, donc c’est vraiment important, c’est une grande priorité. »
« En ce qui concerne l’administration des plafonds de coûts et tout le travail supplémentaire qui l’entoure... oui, c’est aussi une charge supplémentaire. Mais vous devez le faire parce que c’est lié à la performance. Si vous vous trompez et ne prenez pas les bonnes décisions, ou si votre stratégie n’est pas bonne, alors cela affectera les performances de la voiture, donc c’est plus de travail, mais c’est une partie intrinsèque de ce que nous devons faire maintenant. »
Enfin chez Mercedes, le directeur technique Mike Elliott n’est pas effrayé par le défi : après tout, la F1 compte de brillants ingénieurs (et directeurs financiers). Même si l’inflation pose un sérieux problème.
« Les ingénieurs sont doués pour les défis. Ce que nous devons faire, c’est faire des compromis et ça a toujours été le cas, que ce soit entre le poids de la voiture et l’aérodynamique, ou entre les aspects mécaniques de la voiture et l’aérodynamique, et les finances sont juste une autre partie de ce défi, un peu comme Pierre l’a dit. Et en tant qu’ingénieurs, c’est presque juste ça, c’est juste un défi différent que nous résolvons et le terrain de jeu a changé. »
« Je pense que ce qui a été vraiment difficile cette année, c’est de faire face aux problèmes d’inflation auxquels tout le monde est confronté. Et là où nous avons commencé au début de l’année en sachant à peu près ce que nous allions essayer de faire pendant l’année, faire face à un taux d’inflation aussi élevé est un grand défi. »