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Vasseur chez Ferrari : les raisons d’une nomination

La raison d’un choix… et le choix de la raison ?

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La direction de la Scuderia (John Elkann en premier lieu) a donc tranché : ce sera Frédéric Vasseur qui remplacera Mattia Binotto à partir de janvier prochain, à la tête de Ferrari en F1.

Comment interpréter ce choix de Frédéric Vasseur à Maranello ? Quel message John Elkann envoie-t-il ainsi à ses équipes et au paddock F1 sur la future stratégie de Ferrari ?

Pour retracer les linéaments de cette nouvelle stratégie, et en comprendre la logique, il faut d’abord bien sûr remonter le fil des années Ferrari, et voir la logique qui avait, elle, présidé à l’ère Mattia Binotto.

Le legs de Mattia Binotto

L’ère Binotto en elle-même avait sa propre logique : redresser la performance pure de l’équipe Ferrari – en résumé, construire une Formule 1 plus performante.

Il faut se souvenir dans quel contexte Mattia Binotto avait débarqué chez Ferrari : en 2019, la Scuderia avait fait un pas en arrière par rapport à 2018 (année durant laquelle Sebastian Vettel avait lutté face au titre mondial face à Mercedes et Lewis Hamilton).

Il y avait certes eu du mieux à Spa et en Italie en particulier : mais on sait aujourd’hui pourquoi en grande partie. L’unité de puissance Ferrari de l’époque était extra-légale et cela avait conduit à l’arrangement secret avec la FIA… avec des conséquences très lourdes sur 2020.

Car sans qu’on sache les détails de cet accord, 2020 fut une année cataclysmique pour Ferrari, qui finit 6e au classement des constructeurs.

C’est dans ce contexte que Mattia Binotto se vit donc confier la responsabilité, logique, de redresser la Scuderia et de construire une meilleure voiture au fil des années. Force est de constater qu’il y est parvenu : en 2021, il y avait déjà du mieux pour Ferrari (3e place au classement des constructeurs). Et en 2022, on se souvient que la Scuderia était arrivée à Bahreïn avec la meilleure voiture du plateau, ce qui représentait un progrès énorme in fine par rapport aux années précédentes.

Des progrès qui mettent en avant ses failles

Le choix Binotto avait ainsi sa logique : nommer un ingénieur (moteur) ayant fait toute sa carrière chez Ferrari, pour développer une voiture gagnante, en renforçant la synergie châssis/moteur et en allant chercher le moindre décile de performance.

Mais Mattia Binotto a été en somme victime de son succès : en 2022, sa mission était accomplie. Ferrari avait ainsi moins besoin d’un directeur d’écurie-ingénieur, capable de développer des voitures performantes, que d’un directeur d’écurie-meneur d’hommes, centré sur l’opérationnel et la maximisation des points.

En effet si Mattia Binotto a subi de très vives critiques cette année, ce n’est pas forcément en raison du développement poussif de Ferrari en deuxième moitié de saison ; c’est plutôt en raison des erreurs commises dans l’opérationnel, et derrière dans la communication, le Suisse semblant parfois dans le déni de ces multiples bourdes. Une communication et une gestion de l’opérationnel qui semblaient agacer en haut lieu chez John Elkann…

La question n’était plus de savoir si Ferrari disposait d’une voiture gagnante, mais plutôt : pourquoi est-ce qu’avec une voiture gagnante, Charles Leclerc n’a gagné que 3 Grands Prix cette année contre 15 pour Max Verstappen ?

Il fallait donc un changement d’approche, un changement de logique à la Scuderia Ferrari. Et pour cela, un changement à sa tête.

Vasseur, le M. Performance de Ferrari ?

C’est donc ainsi qu’il est possible de comprendre la nomination de Frédéric Vasseur à la tête de l’équipe. Car John Elkann voudrait à Maranello – maintenant que la Scuderia peut de nouveau développer une voiture gagnante – un homme qui a prouvé qu’il mettait la maximisation de la performance et des points avant tout.

Frédéric Vasseur a démontré répondre à cette exigence : par exemple dès son arrivée chez Sauber en 2017, en remplacement de Monisha Kaltenborn. Une de ses premières décisions fut de briser l’accord conclu entre Sauber et Honda pour la fourniture d’unité de puissance, pour aller vers Ferrari.

La raison ? La performance uniquement. A l’époque, Kaltenborn avait pris cette décision aussi pour des considérations financières. Un choix vite démenti par Frédéric Vasseur qui déclarait à l’époque : « Honda est un chantier qui est sur la table et qui sera le premier sur lequel je vais travailler. Il faut le traiter rapidement. Au vu de ce que j’entends de McLaren, cela peut faire peur. »

Même approche sur le plan des pilotes : Frédéric Vasseur s’est bien vite séparé de Pascal Wehrlein pour mettre Charles Leclerc à sa place ; et quand il réussit à se défaire aussi de Marcus Ericsson, ce fut pour nommer Kimi Räikkönen. Même logique encore dans le choix de remplacer Kimi Räikkönen par le pilote le plus performant mais aussi le plus cher disponible pour Alfa Romeo, avec Valtteri Bottas.

Nul doute aussi que Ferrari a été sensible à la gestion de l’opérationnel, de la stratégie, et à la maximisation de la performance, opérée par Alfa Romeo cette année. En début de saison Alfa Romeo a accumulé les points avec Valtteri Bottas, ce qui a permis à l’équipe de finir 6e au classement des constructeurs.

Sans aucun doute le meilleur classement possible pour Alfa Romeo, là où Ferrari semble justement ne pas avoir tiré tout le potentiel de sa voiture. Certes il y a eu aussi beaucoup de gâchis en deuxième moitié de saison pour Alfa Romeo, mais la fiabilité était au moins aussi en cause que l’opérationnel.

Vasseur dans la fosse aux lions…

Au-delà de la question de l’opérationnel et de la stratégie, la question humaine se pose enfin.

Frédéric Vasseur pourra tout d’abord soulager la gestion du cas Charles Leclerc. On sait que depuis le Grand Prix à Silverstone, les tensions entre le Monégasque et Mattia Binotto étaient vives (durant cette course, l’équipe avait priorisé Carlos Sainz, qui était en tête, mais bien derrière pourtant au championnat). La presse italienne a même avancé que Charles Leclerc et Mattia Binotto ne se parlaient plus depuis…

Or évidemment, Charles Leclerc et Frédéric Vasseur s’apprécient grandement, depuis leur collaboration chez ART puis chez Sauber. « Je ne peux que commenter mon expérience avec Fred, qui a évidemment été bonne. Je travaille avec Fred depuis les catégories juniors, où il a cru en moi, et ensuite nous avons toujours eu une bonne relation. Il a toujours été très direct, très honnête. Et c’est quelque chose que j’ai apprécié chez Fred » commentait ainsi encore récemment Charles Leclerc.

Mais Frédéric Vasseur est-il aussi un directeur d’écurie très ‘politique’ ? Il le faudra bien dans la fosse aux lions que constitue Ferrari. En externe, pour gérer les affrontements avec les écuries de pointe, là où Alfa Romeo était peut-être plus effacée dans les discussions politiques (voire alignée sur Ferrari).

Et aussi voire surtout en interne. Car comment Frédéric Vasseur s’entendra-t-il avec Laurent Mekies, le directeur sportif de la Scuderia et reliquat de l’ère Binotto ? Deux Français peuvent-ils cohabiter dans la même équipe ? Comment se répartiront-ils leurs rôles ?

On se souvient qu’en 2016-2017, Frédéric Vasseur était bien vite parti de Renault, tant la cohabitation avec Cyril Abiteboul ne fonctionnait pas. Les deux hommes avaient démenti des tensions, mais le double emploi était évident et l’on peut se demander s’il en sera de même ici.

Un changement d’ère que l’on peut comprendre

Pour agir sur l’opérationnel et la stratégie, Frédéric Vasseur devra sûrement aussi changer des choses, c’est-à-dire des hommes. Quel sera le sort dévolu à Inaki Rueda, le directeur de la stratégie, dans ce contexte ?

Peut-on imaginer l’Espagnol durer encore à son poste ou ne faut-il pas pousser la logique du changement d’ère jusqu’au bout, maintenant qu’elle est enclenchée ? Rien n’exclut que Vasseur ramène dans ses bagages Ruth Buscombe, la très talentueuse responsable de la stratégie d’Alfa Romeo F1.

Que se passera-t-il aussi si finalement, la Scuderia ne dispose pas d’une aussi bonne F1 en 2023 ? Frédéric Vasseur aura beau jeu de dire : c’est en somme l’héritage de Mattia Binotto. Mais ce serait aussi enlever un petit poids sur ses épaules, sans la pression d’un titre mondial…

Enfin, impossible de ne pas voir dans la nomination de Frédéric Vasseur un symbole, celui d’un retour d’un Français à la tête de l’équipe. La comparaison va certainement revenir entre Vasseur et Jean Todt, ne seraient-ce que pour leurs passeports communs. Ce poids des symboles a-t-il aussi pesé dans la tête de John Elkann ? Dans les mentalités de Maranello ? Difficile à dire.

En somme, la nomination de Frédéric Vasseur ouvre un changement d’ère que l’on peut comprendre : il y a une logique à ce choix, qui est aussi le choix de la logique.

Mais attention aussi : Frédéric Vasseur sait bien combien la presse italienne, volatile et irascible, est adepte du tryptique « lécher, lâcher, lyncher ». En Italie, on sait bien que du Capitole à la Roche tarpéienne, il n’y a qu’un pas, ou un arrêt aux stands manqué…

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